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De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques” (1855) Essai Baudelaire fait une étude pénétrante du «comique absolu» (dont «un des signes très particuliers est de s’ignorer lui-même») et de la pantomime (qui «est l’épuration de la comédie ; c’en est la quintessence ; c’est l’élément comique pur, dégagé et concentré»). Il considère que «le rire est signe d’infériorité relativement aux sages», que «les nations primitives […] ne conçoivent pas la caricature et n’ont pas de comédies (les livres sacrés, à quelques nations qu’ils appartiennent, ne rient jamais)», qu’«en France, pays de pensée et de démonstration claires, où l’art vise naturellement et directement à l’utilité, le comique est généralement significatif», citant Molière comme exemple, tandis que, pour lui, «Rabelais, qui est le grand maître français du grotesque, garde au milieu de ses plus énormes fantaisies quelque chose d’utile et de raisonnable.» Il conclut : «L’artiste n’est artiste qu’à condition d’être double et de n’ignorer aucun phénomène de sa double nature». _________________________________________________________________________________ Alors que le peintre Courbet, soutenu par Champfleury, relevait et affichait le mot de «réalisme» qu’on leur jetait comme une injure, en septembre 1855, Baudelaire, qui était très lié avec eux et leurs amis, projeta d’écrire : _________________________________________________________________________________ ‘’Puisque réalisme il y a’’ (1855) Article Conscient de ce qui le séparait du réalisme, Baudelaire voulut prendre publiquement ses distances, comme il l’avait fait pour ‘’L’école païenne’’ et «l’art pour l’art». Il affirma : «La poésie est ce qu'il y a de plus réel, ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde». Commentaire Baudelaire n’alla pas jusqu’au bout de son projet, soit par manque de persévérance et procrastination, soit en raison des amitiés qui le liaient aux membres de ce groupe. _________________________________________________________________________________ En 1855, Baudelaire commença à prendre des notes en vue d’un livre dont il emprunta le titre, ‘’Mon cœur mis à nu’’, aux ‘’Marginalia’’ d’Edgar Poe. Il écrivit en décembre : «Je ne suis pas positivement vieux, mais je puis le devenir prochainement.» Tout au début de 1856, il fit paraître, dans le recueil collectif ‘’La nouvelle galerie des artistes dramatiques vivants’’, ‘’Le comédien Rouvière’’, un éloge. Le 21 janvier, il envoya une importante lettre à Alphonse Toussenel où il affirma «que l'imagination est la plus scientifique des facultés, parce que seule elle comprend l'analogie universelle, ou ce qu'une religion mystique appelle la correspondance». Cette année-là, Poulet-Malassis, qui avait repris la direction de l’imprimerie familiale avec son beau-frère, Eugène de Broise, ouvrit une librairie à Paris, rue de Buci, où il édita les poètes de l'école parnassienne, parmi lesquels Leconte de Lisle et Théodore de Banville. Le 12 mars, Baudelaire fit paraître un premier recueil de traductions de nouvelles d’Edgar Poe sous le titre, qui n’était pas celui de Poe, d’‘’Histoires extraordinaires’’ (voir, dans le site, POE – Les nouvelles). L’ordre qu’il leur donna n'était ni celui de leur composition, ni celui de leur publication, et correspondait donc à son intention délibérée : il ouvrit le recueil par des nouvelles où priment la logique et la raison, et qui s'apparentent au roman policier : ‘’Double assassinat dans la rue Morgue’’, ‘’La lettre volée’’, ‘’Le scarabée d'or’’ ; il poursuivit par des récits de voyages, dont certains annonçaient la science-fiction : ‘’Le canard en ballon’’, ‘’Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall’’, ‘’Manuscrit trouvé dans une bouteille’’, ‘’Une descente dans le Maelstrom’’ ; il acheva le recueil par des nouvelles fantastiques où la peur, l'angoisse et la mort sont les seules réponses possibles face à un monde où se côtoient vraisemblance et surnaturel, raison et folie, mort et survie : ‘’La vérité sur le cas de M. Valdemar’’, ‘’Révélation magnétique'’, ‘’Les souvenirs de M. A. Bedloe’’, ‘’Morella’’, ‘’Ligeia’’, ‘’Metzengerstein’’. On peut remarquer qu’il n'a guère choisi que des nouvelles sérieuses (à part "Le canard au ballon", "Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaal", “Le roi peste ", "Le diable dans le beffroi", "Lionnerie"), ce qui tendit à donner de Poe, en France, l’image extrêmement parcellaire et partiale, et qui s'est imposée jusqu'à nos jours, d’un maître d'un univers morbide. ‘’Le scarabée d'or’’, en particulier, fut remarqué. Le recueil avait pour préface le texte ‘’Edgar Poe, sa vie et ses œuvres’’, qu’il avait complètement refait en s’aidant de l’édition Redfield et de la notice de Griswold (qui ne mérite malheureusement pas toute confiance). Cette année-là, se produisit la grande crise entre Baudelaire et Jeanne Duval qui, alcoolique et malade, était déchue. Le 11 septembre 1856, il se sépara d’elle, tandis que Marie Daubrun lui préférait Banville, vivant même avec lui. Amant bafoué et jaloux, il lui adressa le cruel poème ‘’À une madone’’, qui est un cri vengeur. Et il envisagea un roman intitulé ‘’La maîtresse vierge’’, projet pour lequel il écrivit : «La femme dont on ne jouit pas est celle qu’on aime.» (mais il y a une variante ou, plutôt, on ne sait pas si le texte n’était pas : «La femme qui ne jouit pas»). Une lettre du poète à sa mère permet de mesurer son angoisse de la solitude revenue, sa douleur au souvenir des joies jadis éprouvées, son désespoir : «Je suis resté pendant dix jours sans sommeil, toujours avec des vomissements et obligé de me cacher, parce que je pleurai toujours.» Le 30 décembre, il signa, avec Poulet-Malassis et son associé, un premier contrat pour la publication des ‘’Fleurs du mal’’, son recueil de poèmes qu’il avait mûri pendant quinze ans, «avec fureur et patience», qui intégrait la quasi-totalité de sa production poétique depuis 1840, et de ‘’Bric-à-brac esthétique’’, livre projeté, qui ne fut pas réalisé, cette réunion de ses comptes rendus des Salons de 1845 et 1846 allant se trouver finalement dans ‘’Curiosités esthétiques’’ en 1868. À partir de février 1857 parut dans ‘’Le moniteur universel’’, la traduction par Baudelaire du roman d’Edgar Poe, ‘’Les aventures d’Arthur Gordon Pym’’. Dans un article de 1852, il s’était montré guère enthousiasmé parce qu’il n'avait pas encore lu le roman, et qu'il basait son jugement sur un article américain paru en 1850. Il ébaucha cependant cette traduction. Mais il ne mentionna dans sa correspondance le projet d'une traduction intégrale qu'en mai 1856. Cette année-là, visiblement, il n'appréciait encore que modérément le livre, écrivant dans sa notice d'introduction aux ‘’Histoires extraordinaires’’ (‘’Edgar Poe, sa vie et ses œuvres’’) : «Une fois, cependant, il [Poe] s'est appliqué à faire un livre purement humain. ‘’La Narration d'Arthur Gordon Pym’’, qui n'a pas eu un grand succès, est une histoire de navigateurs qui, après de rudes avaries, ont été pris par les calmes dans les mers du Sud. Le génie de l'auteur se réjouit dans ces terribles scènes et dans les étonnantes peintures de peuplades et d'îles qui ne sont point marquées sur les cartes. L'exécution de ce livre est excessivement simple et minutieuse. D'ailleurs, il est présenté comme un livre de bord.» Lui qui avait fait de longues navigations, qui allait être le poète du ‘’Voyage’’, ne pouvait pas ne pas être «possédé» par l’aventure d’Arthur Gordon Pym en qui il vit, comme dans Poe, son semblable, son frère, son double. Il pressentit les suggestions obsédantes qui rôdent dans les abîmes de cette odyssée. Sa traduction n’est pas toujours exacte (ainsi, il ajouta des titres aux chapitres, alors que les éditions américaine et anglaise n'en comportent pas ; il traduisit la dernière phrase du récit de Pym, «the hue of the skin of the figure», par «la couleur de la peau de l'homme»), et fut par la suite contestée, surtout après la parution de l'étude psychanalytique de Marie Bonaparte sur Edgar Poe, dans laquelle l'énigmatique silhouette qui se dresse devant Pym fut assimilée à la figure de la mère. Baudelaire écrivit au ministre d'État Achille Fould pour lui recommander ce «roman admirable», car, la principale source de ses revenus étant ses traductions, il cherchait avant tout à attirer l'attention sur celle qu'il venait de terminer et dont il espérait qu'elle rencontrerait le même succès qu’‘’Histoires extraordinaires’’. Le 4 février, il remit le manuscrit de son recueil de poèmes, dont, le 20 avril, neuf furent publiés dans la ‘’Revue française’’, modeste publication mais qui était l’une des rares qui lui étaient ouvertes. Une longue et minutieuse correspondance s’engagea entre lui et Poulet-Malassis en vue de régler la présentation, l’établissement du texte et mille détails typographiques. Le 8 mars, Michel Lévy publia un deuxième recueil des traductions de nouvelles d’Edgar Poe, sous le titre ‘’Nouvelles histoires extraordinaires’’ (voir, dans le site, POE - Les nouvelles), avec en manière de préface : _________________________________________________________________________________ ‘’Notes nouvelles sur Edgard Poe’’ (1857) Essai Ce sont des considérations critiques et théoriques. Baudelaire, non content de s’employer à étendre la gloire du grand écrivain américain, expose, en des formules singulièrement précises et éloquentes, les principes esthétiques qui étaient à la base de toute son œuvre de critique, et qui sous-tendaient les thèmes essentiels de son inspiration. En démarquant sans scrupule le ‘’Principe poétique’’ d'Edgar Poe, il affirme : «C’est cet admirable, cet immortel instinct du beau qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au-delà et que révèle la vie est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C'est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par la musique et à travers la musique, que l'âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau.» Il donne une définition de la poésie : «Le principe de la poésie est, strictement et simplement, l’aspiration humaine vers une beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, une excitation de l’âme : enthousiasme tout à fait indépendant de la passion, qui est l’ivresse du cœur et de la vérité qui est la pâture de la raison. Car la passion est chose ‘’naturelle’’, trop naturelle pour ne pas introduire un ton blessant, discordant, dans le domaine de la beauté pure ; trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs désirs, les gracieuses mélancolies et les nobles désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la poésie.» Il dénonce une fois de plus «I'hérésie de I'enseignement» : «Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque. […] La poésie, pour peu qu'on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme, n'a pas d'autre but qu'elle-même ; elle ne peut en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. […] Je dis que si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique ; et il n'est pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise.» Il condamne aussi «l’hérésie de la passion, de la vérité et de la morale». Mais il prend soin de dissiper tout malentendu : «Je ne veux pas dire que la poésie n’ennoblisse pas les moeurs» ; et affirme que le «résultat final» sera «d'élever I'homme au-dessus du niveau des intérêts vulgaires» ; il montre que ce «résultat» n'est pas seulement d'ordre moral, sur le plan humain, puisque «c'est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique que l'âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau». Il pense que les larmes produites par la lecture d'un «poème exquis» «ne sont pas la preuve d'un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d'une mélancolie irritée, d'une postulation des nerfs, d'une nature exilée dans I'imparfait et qui voudrait s'emparer immédiatement, sur cette terre même, d'un paradis révéIé». Il indique : «Si la première phrase n'est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l'oeuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende directement ou indirectement à parfaire le dessein prémédité.» Sous l’influence de Poe, il se laisse aller à introduire certains éléments de mysticisme. Il condamne le progrès, «cette grande hérésie de la décrépitude», et déclare que «l’homme civilisé invente la philosophie du progrès pour se consoler de son abdication et de sa déchéance». Commentaire L’idéal esthétique, défini par Baudelaire dans le passage cité et qui est demeuré à juste titre parmi les plus célèbres, fut accueilli avec enthousiasme par les parnassiens, tandis que les éléments de mysticisme allaient être développés par le symbolisme, et se retrouver à la source du surréalisme. _________________________________________________________________________________ Le 20 avril 1857, Baudelaire publia le poème ‘’Harmonie du soir’’ dans ‘’La revue française’’. Le 28 avril, le général Aupick mourut. Sa veuve allait se retirer, la plus grande partie de l'année, dans sa maison de Honfleur. Son fils lui écrivit : «Ce que je sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance complète de ses forces, une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque [...] Je me demande sans cesse : À quoi bon ceci? à quoi bon cela? C'est le véritable esprit de spleen.» Le 25 juin, tirées à mille trois cents exemplaires sur vélin, et vendues trois francs le volume, l’auteur, qui devait toucher vingt-cinq centimes, renonçant à certains poèmes au moment même de l’impression (il avoua à sa mère [lettre du 9 juillet 1857] : «Épouvanté moi-même de l’horreur que j’allais inspirer, j’en ai retranché un tiers aux épreuves»), parurent : _________________________________________________________________________________ “Les fleurs du mal” (1857) Recueil de cent poèmes La couverture reproduisait en épigraphe six vers extraits des ‘’Tragiques’’ (livre ll) d'Agrippa d'Aubigné, et s'achevant ainsi : «Mais le vice n'a point pour mère la science, / Et la vertu n'est pas fille de l'ignorance.» On trouvait cette dédicace : «Au poète impeccable, au parfait magicien ès lettres françaises, à mon très cher et très vénéré maître et ami : Théophile Gautier, avec les sentiments de la plus profonde humilité, je dédie ces fleurs maladives». Un poème liminaire, intitulé ‘’Au lecteur’’, qui ne porte pas de numéro pour souligner son rôle de préface, est un véritable exposé d'un style presque didactique, solennel avertissement qui dénonce la corruption de I'humanité entière, constat d'abord de la présence du Mal dans la conscience de l'être humain, le responsable étant aussitôt nommé et accusé formellement : Satan. Le poète insiste alors avec un véritable acharnement sur I'horreur, la nocivité, I'universalité de ce Mal, et la multiplicité de ses manifestations, dont il désigne la forme essentielle : «C’est L'Ennui ! - l'oeil chargé d'un pleur involontaire ll rêve d'échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !» (vers 37 à 40). Les poèmes suivants étaient numérotés de I à C. Ils étaient organisés en cinq parties. Première partie, ‘’Spleen et idéal’’ : I. ‘’Bénédiction’’ - II. ‘’Le soleil’’ - III. ‘’Élévation’’ (voir, dans le site, BAUDELAIRE – ‘’Élévation’’) - IV. ‘’ |
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