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’Quelques caricaturistes français’’ (dont Daumier, «l’un des hommes les plus importants, je ne dis pas seulement de la caricature, mais encore de l’art moderne», qui avait montré «dans sa réalité fantastique […] tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités», qu’il considérait comme un de ceux qui avaient le mieux représenté leur époque en étant le censeur impitoyable de ses ridicules et de ses engouements) et ‘’Quelques caricaturistes étrangers’’ (dont Goya, le maître du «monstrueux vraisemblable» : «Nul n’a osé plus que lui dans le sens de l’absurde possible»). Le 18 octobre, il fit, dans ‘’L’artiste’’, un compte rendu de deux œuvres de Flaubert : - ‘’Madame Bovary’’, article où il commença par faire l’éloge de Balzac, «ce prodigieux météore qui couvrira notre pays d’un nuage de gloire, comme un orient bizarre et exceptionnel, comme une auropre polaire inondant le désert glacé de ses lumières féeriques […] Si Balzac a fait de ce genre roturier [le roman de mœurs] une chose admirable, toujours curieuse et souvent sublime, c'est parce qu'il y a jeté tout son être. J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l’ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi profondément colorées que les rêves […] Qui peut se vanter d’être aussi heureusement doué, et de pouvoir appliquer une méthode qui lui permette de revêtir, à coup sûr, de lumière et de pourpre la pure trivialité?» ; où il vit en Emma Bovary «une femme vraiment grande et surtout pas pitoyable […] si loin du pur animal et si près de l’homme idéal, [présentant] ce double caractère de calcul et de rêverie qui fait l’être parfait» ; où il affirma ; «Une véritable oeuvre d'art n'a pas besoin de réquisitoire. La logique de l'oeuvre suffit à toutes les postulations de la morale, et c'est au lecteur à tirer les conclusions de la conclusion.» ; - ‘’La tentation de saint Antoine’’, article où il voyait dans cette oeuvre «le cabinet secret de l’esprit de Flaubert», qui voulait, selon lui, «surtout attirer l'attention du lecteur sur cette faculté souffrante, souterraine et révoltée, qui traverse toute l'œuvre, ce filon ténébreux qui illumine et qui sert de guide à travers ce carphanaüm pandémoniaque de la solitude». Après avoir, semble-t-il, songé un moment à se rebeller contre l’arrêt du tribunal, il accepta de s’y soumettre, et, le 6 novembre, adressa même à l’impératrice une habile supplique : «Je dois dire que j’ai été traité par la Justice avec une courtoisie admirable, et que les termes mêmes du jugement impliquent la reconnaissance de mes hautes et pures intentions. Mais l’amende, grossie des frais inintelligibles pour moi, dépasse les facultés de la pauvreté proverbiale des poètes, et, […] persuadé que le cœur de l’Impératrice est ouvert à la pitié pour toutes les tribulations, les spirituelles comme les matérielles, j’ai conçu le projet, après une indécision et une timidité de dix jours, de solliciter la toute gracieuse bonté de Votre Majesté et de la prier d’intervenir pour moi auprès de M. le Ministre de la Justice.» Alors que, dans sa lettre du 30 décembre, il avoua : «Ce que je sens, c’est un immense découragement, une sensation d’isolement insupportable […] une absence totale de désirs, une impossibilité de trouver un amusement quelconque. Le succès bizarre de mon livre, et les haines qu’il a soulevées m’ont intéressé un peu de temps, et puis après cela je suis retombé.», il lui fallait envisager une nouvelle édition, ce qui lui fit s’écrier : «Et les maudites ‘’Fleurs du mal’’ qu’il faut recommencer ! […] Redevenir poète, artificiellement, par volonté, rentrer dans une ornière qu’on croyait définitivement creusée, traiter un sujet qu’on croyait épuisé…» Cependant, il médita déjà sur les poèmes qui allaient prendre la place de ceux qui avaient été condamnés, dans ce recueil qui n'avait pas été conçu comme un premier recueil de poèmes, mais comme une oeuvre unique, susceptible de s'enrichir et même de se transformer dans une certaine mesure, non de faire place à un autre. Le fait même que ce livre resta unique montre que Baudelaire restreignait en étendue, mais accroissait en puissance la fonction de la poésie. Me Gustave Chaix d’Est-Ange ayant été nommé procureur général, et «le condamné témoignant du repentir», une décision du garde des sceaux du 20 janvier 1858 réduisit l’amende du poète à cinquante francs. Celle des éditeurs fut maintenue. Le 15 mai 1858, l’éditeur Michel Lévy publia en volume la traduction des ‘’Aventures d’Arthur Gordon Pym’’, et Baudelaire écrivit à Sainte-Beuve pour l’inviter à faire «une excursion dans les profondeurs d'Edgar Poe». Le 13 juin, ‘’Le Figaro’’ publia une lettre de Baudelaire à son directeur où il proclamait la fidélité de son admiration pour Hugo envers qui on l’accusait d’avoir manqué de respect, ses relations avec lui ne cessant d’être très ambiguës. Ainsi, dans une lettre à Armand Fraisse du 18 février 1860, il se moqua, à son propos, des «superstitions comiques introduites en lui par les événements, c’est-à-dire la sottise ou sagesse moderne, la croyance au progrès, le salut du genre humain par les ballons, etc.» Le 30 septembre, il publia, dans ‘’La revue contemporaine’’, deux articles intitulés ‘’Le goût de l’infini’’ et ‘’De l'idéal artificiel, le haschisch’’, qui allaient se retrouver dans ‘’Les paradis artificiels’’ (le second sous le titre ‘’Le poème du haschisch’’) et en constituer la première partie. En octobre, ayant de grosses difficultés d’argent, il se rendit à Honfleur, se réconcilia avec sa mère, et séjourna dans sa maison, asile de paix où il rêvait de pouvoir demeurer, car, alors qu’il n’avait que trente-sept ans, sa santé commençait à se détériorer : il souffrait de douleurs aux jambes, d'étouffements, de maux d'estomac dus aux séquelles de la syphilis. Mais, pour les calmer, il avait un besoin quotidien de laudanum, qui l’obligeait à vivre à Paris. Autre conséquence du mal vénérien, il fut atteint d’alopécie, se fit raser la tête, et, afin que nul ne soupçonnât pour quelle cause étaient tombées les belles boucles dont il était assez lier, il se teignit les cheveux en vert, masquant ainsi une précaution hygiénique sous le prétexte d’une fantaisie excessive, donc savoureuse à son goût. Cet hiver-là, fréquentant le salon du commandant Lejosne, il s’y lia au peintre Édouard Manet, qui sollicita son aide, qu’il conseilla et même inspira fort souvent, notamment dans “Le concert au jardin des Tuileries”, tableau à «sujet moderne» peint en 1862 et où le poète figure ; dans ‘’Olympia’’ peint en 1863, qui est très proche des thèmes baudelairiens, et provoqua un scandale, l’indignation du public ayant été particulièrement soulevée par la servante noire et le chat (qui avaient été introduits dans le tableau sur le conseil du poète qui a peut-être inspiré le sujet aussi !) ; dans “Lola de Valence”, tableau d’une danseuse espagnole, qui fut refusé au Salon de 1863, et qui inspira le poème du même titre. Mais, en fait, Baudelaire passa à côté de Manet, alors que tout devait pourtant les réunir, à commencer par leur goût commun pour le dandysme, par leur fréquentation des mêmes cafés sur les Grands Boulevards. En 1865, dans une lettre, il lui asséna : «Vous n’êtes que le premier dans la décrépitude de votre art». Il ne saisit rien de l’importance de son œuvre. Ayant sollicité l’assistance du ministre de l’instruction publique, il reçut une «indemnité littéraire» de cent francs pour sa traduction des ‘’Histoires extraordinaires’’, et une de trois cents francs pour ses études sur I'art. De janvier à mars 1859, Baudelaire fit un séjour fructueux à Honfleur. Le 21 février, il écrivit à Sainte-Beuve : «Nouvelles fleurs faites, et passablement singulières. Ici, dans le repos, la faconde m’est revenue.» Fin janvier, il avait envoyé à Barbey d’Aurevilly trois poèmes : ‘’Le voyage’’, ‘’L’albatros’’ et ‘’Sisina’’. Fin février, chose tout à fait exceptionnelle, il les fit imprimer à Honfleur sur une demi-douzaine de placards, et en envoya à Sainte-Beuve, Flaubert, Asselineau, Poulet-Malassis. Le 9 janvier, ‘’La double vie’’, recueil de nouvelles de Charles Asselineau, parut avec une préface de lui où il écrivait, ce qui annonçait son poème ‘’Le voyage’’ : «Ceux-ci font de lointains voyages au coin d’un foyer dont ils méconnaissent la douceur ; et ceux-là, ingrats envers les aventures dont la Providence leur fait don, caressent le rêve d’une vie casanière, enfermée dans un espace de quelques mètres. L’intention laissée en route, le rêve oublié dans une auberge, […] le regret mêlé d’ironie, le regard jeté en arrière comme celui d’un vagabond qui se recueille un instant, l’incessant mécanisme de la vie terrestre, taquinant et déchirant à chaque minute l’étoffe de la vie idéale : tels sont les principaux éléments de ce livre exquis.» Le 13 mars, il publia dans ‘’L’artiste’’ une étude intitulée ‘’Théophile Gautier’’ où il s'engagea dans une véritable et opportune leçon d'esthétique sur le caractère distinctif du beau poétique : «C’est un des privilèges prodigieux de l’Art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté, et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme.» ; où il exalta «l’amour exclusif du Beau, I'Idée fixe». Au mois d'avril, il revit Jeanne Duval, et, comme elle était atteinte d'hémiplégie, prit soin d'elle. Il l'appelait alors «ma très chère fille», car elle était pour lui une sorte d'enfant. La pitié, le remords, la charité avaient fini par vaincre en lui les vieux démons de l'égoïsme et de la volupté. Le 10 avril, il fit paraître, dans ‘’La revue française’’, les poèmes ‘’Le voyage’’, ‘’L’albatros’’ et ‘’Sisina’’. Le 20 avril, dans la même revue, il publia sa traduction de l’essai d’Edgar Poe ‘’The philosophy of composition’’, sous le titre : ‘’La genèse d’un poème’’, où il affirma : «La poétique est faite, nous disait-on, et modelée d’après les poèmes. Voici un poète qui prétend que son poème a été composé d’après sa poétique.», où il déclara qu’aux «amateurs de délire», «il sera toujours utile de montrer quels bénéfices l’art peut tirer de la délibération». Dans une lettre à Nadar, il souhaita, comme frontispice de la deuxième édition des ‘’Fleurs du mal’’, un squelette arborescent «traité d’une manière ultra-romantique», image que le peintre et graveur Félix Braquemond réalisa. Mais, quand le poète vit l’épreuve, il fut outré : «L’horreur de Braquemond […] ces fleurs étaient absurdes […] comment pouvez-vous avoir encore confiance dans une interprétation d’une idée quelconque par un artiste quelconque !» Le 29 avril, il écrivit à Poulet-Malassis : «Nouvelles ‘’Fleurs du mal’’ faites. À tout casser, comme une explosion de gaz chez un vitrier.» À la recherche de quelque argent, il s’adressa à ‘’La revue française’’ pour y placer un texte qui prit la forme d’une lettre adressée au directeur de la revue et ami de Baudelaire, Jean Morel («Mon cher M****»), qui lui avait demandé d’être bref, ce qu’il apprécia, disant : «la brièveté réclamant toujours plus d’efforts que la prolixité». Ce fut : _________________________________________________________________________________ ‘’Le Salon de 1859’’ (1859) Essai de critique d’art Le texte est divisé en neuf parties : 1. ‘’L’artiste moderne‘’ - 2. ‘’Le public moderne et la photographie’’ - 3. ‘’La reine des facultés’’ - 4. ‘’Le gouvernement de l’imagination’’ - 5. ’’Religion, Histoire, fantaisie’’ - 6. ‘’Le portrait’’ - 7. ‘’Le paysage’’ - 8. ‘’Sculpture’’ - 9. ‘’Envoi’’. Baudelaire y déclare : «L'artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon ce qu'il voit et ce qu'il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature.» Mais il considère que les vrais artistes connaissent «ces admirables heures, véritables fêtes du cerveau, où les sens plus attentifs perçoivent des sensations plus retentissantes, où le ciel d'un azur plus transparent s'enfonce dans un abîme plus infini, où les sons tintent musicalement, où les couleurs parlent, et où les parfums racontent des mondes d'idées». Il condamne avec véhémence la photographie, art qui, selon lui, donne aux niais «toutes les garanties désirables d’exactitude», art industriel et reproductible dont les images tuent l'imagination (bien que lui-même fût merveilleusement photographié par Nadar ou Carjat). Il accepte qu'elle soit la servante des sciences et des arts, comme l'imprimerie, mais écrit que, «s'il lui est permis d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et de l'imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l'homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !» Sous le double coup du succès croissant de la photographie et de l'école réaliste (ce fut en 1855 que Courbet présenta quarante de ses oeuvres dans un pavillon spécial, au moment de I'Exposition universelle, et le manifeste de Champfleury date de 1857), il s'inquiète de la menace du progrès («J’entends par progrès la domination progressive de la matière» - «La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que I'un des deux serve I'autre.»). Il repousse un art asservi à la «nature», qui «n’est qu’un dictionnaire» ; il déteste la nature «brutale et positive», et «laide», allant jusqu’à dire, à sa manière sarcastique, qu’il est «incapable de s'attendrir sur les végétaux», que, «si tel assemblage d'arbres, de montagnes, d'eaux et de maisons, que nous appelons un paysage, est beau, ce n'est pas par lui-même, mais par moi, par ma grâce propre, par I'idée ou le sentiment que j'y attache». Il ne reproche nullement aux paysagistes de s'intéresser à la nature, mais affirme : «Ils prennent le dictionnaire de I'art pour I'art lui-même : voilà leur erreur». Pour lui, il ne s'agit pas pour I'artiste d'interpréter un paysage, mais de I'utiliser par une démarche inverse : «Tout paysagiste qui ne sait pas traduire un sentiment par un assemblage de matière végétale ou minérale, n'est pas un artiste.» Il parle de la poésie pour affirmer : «Il est évident que les rhétoriques et les prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection de règles réclamées par I'organisation même de l'être spirituel. Et jamais les prosodies et les rhétoriques n'ont empêché I'originalité de se produire distinctement. Le contraire [...] serait infiniment plus vrai.» Au chapitre 4, il déclare que «l’immense classe des artistes, c’est-à-dire des hommes qui sont voués à l’expression du beau, peut se diviser en deux camps bien distincts. Celui-ci qui s'appelle lui-même réaliste, mot à double entente et dont le sens n'est pas bien déterminé, et que nous appellerons, pour mieux caractériser son erreur, un positiviste, dit : ‘’Je veux représenter les choses telles qu’elles sont, ou bien qu'elles seraient, en supposant que je n'existe pas’’. L'univers sans l'homme. Et celui-là, l’imaginatif, dit : ‘’Je veux illuminer les choses avec mon esprit et en projeter le reflet sur les autres esprits.’’» Il se situe donc à mi-chemin entre un désaveu pur et simple du réalisme (qui montre un réel non transfiguré par I'imagination), et l'éloge d'un art où serait introduite la poésie, où règnerait sans partage I'imagination, «cette reine des facultés», affirmant : «Comme l’imagination a créé le monde, elle le gouverne». Définissant «le formulaire de la véritable esthétique : Tout l’univers visible n’est qu’un magasin d’images et de signes auquel l’imagination donnera une place et une valeur relatives ; c’est une espèce de pâture que l’imagination doit digérer et transformer. Toutes les facultés de l’âme humaine doivent être subordonnées à l’imagination qui les met en réquisition toutes à la fois.», il se consacre entièrement au principe de l’autonomie absolue de l’imagination, qui est non pas la fantaisie, mais une fonction beaucoup plus élevée par laquelle le créateur conçoit, crée et entretient l’univers. Il veut se servir librement des données de celui-ci afin d’établir entre elles de nouveaux rapports. L’imagination est pour lui le principe absolu non seulement du Beau (qui «est toujours étonnant», mais, «parce que le Beau est toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau.»), mais du Bien. Pour lui, l'artiste ne doit ni chercher à «reproduire» le réel ni inventer de toutes pièces un monde à sa façon. Et, pour caractériser cette position, il reprend le mot «surnaturalisme». Il définit une approche qui reconnaît implicitement à I'artiste une très grande liberté, la critique devant renoncer à ses prétentions normatives, et savoir s'ouvrir à ce qui est vraiment «neuf». L'oeuvre d'art accomplie est, pour lui, celle qui montre le travail de l'imagination, et donc I'idéal, dans la nature elle-même, autrement dit «I'infini dans le fini». Il veut défendre les droits de I'idéal, et vitupère la «vilaine âme» de la bourgeoisie. Dans le chapitre 7, il apprécie les paysages de Boudin : «Tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses […] toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l'éloquence de I'opium. Chose assez curieuse, il me m’arriva pas une seule fois, devant ces magies liquides ou aériennes, de me plaindre de l'absence de I'homme.» Et, plus loin, se plaignant de la médiocrité des paysagistes de 1859, il en attribue la raison au fait que «le ciel et le désert les épouvantent». Il affirme : «Je n'ai pas trouvé chez les exposants du Salon la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo comme le mystère dans le ciel. Je parle de ses dessins à l'encre de Chine, car il est trop évident qu'en poésie, notre poète est le roi des paysagistes». Il fait l’éloge de ‘’L’Angélus’’, un tableau d’Alphonse Legros. Il revient sur sa condamnation de la sculpture : «Quel regard dans ces yeux sans prunelle ! De même que la poésie lyrique ennoblit tout, même la passion, la sculpture, la vraie, solennise tout, même le mouvement ; elle donne à tout ce qui est humain quelque chose d'éternel, et qui participe de la dureté de la matière employée.» Il fait aussi ce portrait de l’amour : «Pour moi, si j’étais invité à représenter l’Amour, il me semble que je le peindrais sous la forme… d’un démon aux yeux cernés par la débauche et l’insomnie, traînant comme un spectre ou un galérien des chaînes bruyantes à ses chevilles et secouant d’une main une fiole de poison, de l’autre le poignard sanglant du crime.» Commentaire Baudelaire n’avait fait qu’une brève visite au Salon. Ce ne fut donc qu’à partir de fugitifs souvenirs, et du livret présentant l’exposition, qu’il la décrivit et la commenta, ayant découvert ainsi une autre méthode critique, comme il l’indiqua (avec humour?) à Nadar dans une lettre du 8 mai 1859 : «J’écris maintenant un ‘’Salon’’ sans l’avoir vu. Mais j’ai un livret. Sauf la fatigue de deviner les tableaux, c’est une excellente méthode, que je te recommande. On craint de trop louer et de trop blâmer ; on arrive ainsi à l’impartialité.» De ce fait, il exprima (pour notre profit) plus d’idées générales que de précisions sur les œuvres exposées. Déployant son génie critique dans un style à mi-chemin entre journalisme et littérature, il marqua une nette évolution de sa pensée esthétique, un nouvel approfondissement. Il donna, dans ‘’Le gouvernement de l’imagination’’, le premier évangile de la poésie moderne, de Rimbaud aux surréalistes. L’ouvrage fut à peine lu lors de sa parution. _________________________________________________________________________________ En octobre 1859, la traduction par Baudelaire d’‘’Eureka : poème de prose. Essai sur l'univers matériel et spirituel’’ de Poe commença à paraître dans ‘’La revue internationale mensuelle’’ (de Genève). Il y indiquait qu’il avait trouvé en Poe «un homme qui me ressemblait un peu, par quelques points, c’est-à-dire une partie de moi-même». Mais la publication allait être interrompue en janvier 1860 en conséquence d’une brouille. Le 6 octobre, Victor Hugo lui écrivit : «Vous êtes, Monsieur, un noble esprit et un généreux coeur. Vous écrivez des choses profondes et souvent sereines. Vous aimez le Beau. Donnez-moi la main. Et quant aux persécutions, ce sont des grandeurs. Courage !» Et il ajouta : «Vous avez doté le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre, vous avez créé un frisson nouveau». Alors que Baudelaire projetait de confier de ses ‘’Poèmes nocturnes’’ à ‘’La revue française’’, celle-ci cessa sa publication. En novembre, ‘’Théophile Gautier’’ parut en plaquette, précédé d’une lettre-préface de Hugo. La couverture annonçait un ‘’Machiavel et Condorcet’’, dialogue philosophique dont il fut question aussi dans une lettre de Baudelaire à sa mère du 15 novembre, mais qui ne fut jamais écrit. Dans une lettre du 28 décembre, il lui fit part de cette crainte : «Si j’allais devenir infirme ou sentir mon cerveau dépérir avant d’avoir fait tout ce qu’il me semble que je dois et puis faire, car il y a plus grave que les douleurs physiques, c’est la peur de voir s’user, péricliter et disparaître, dans cette horrible existence pleine de secousses, l’admirable faculté poétique, la netteté d’idées et la puissance d’espérances qui constituent en réaliré mon capital.» Le 1er janvier 1860, il signa un contrat avec Poulet-Malassis pour la deuxième édition des ‘’Fleurs du mal’’, des ‘’Paradis artificiels’’, et deux volumes intitulés ‘’Opinions littéraires’’ et ‘’Curiosités esthétiques’’, où auraient été rassemblées les études de critique littéraire et de critique d’art (ce qui allait être réalisé dans l’édition posthume de 1868-1870). L’année allait se passer à préparer la deuxième édition des ‘’Fleurs du mal’’. Le 13 janvier, une brève congestion cérébrale le saisit dans la rue. Cette petite alerte allait le faire vivre désormais dans la terreur nerveuse. Il commença à connaître une inquiétude religieuse grandissante, passa par une crise de dévotion, priant Dieu de lui «communiquer la force nécessaire pour accomplir tous [ses] devoirs et d’octroyer à [sa] mère une vie assez longue pour jouir de [sa] transformation.» Du 15 au 31 janvier, parut, dans ‘’La revue contemporaine’’, ‘’Enchantements et tortures d’un mangeur d’opium’’, dont il était indiqué que c’était une adaptation de ‘’Confessions of an English opium eater, being an extract from the life of a scholar and Suspiria de profundis, being a sequel to the Confessions, by Thomas de Quincey’’ (‘’Confessions d’un Anglais mangeur d’opium, ou extrait de la vie d’un érudit, et Suspiria de profundis, faisant suite aux Confessions par Thomas de Quincey’’). En février, Richard Wagner vint à Paris pour donner trois concerts où il fit entendre des fragments du ‘’Vaisseau fantôme’’, de ‘’Tannhaüser’’ et de ‘’Lohengrin’’. Baudelaire, un wagnérien de la première heure, qui trouvait dans sa musique une sorte de haschisch auquel il s’abandonnait délicieusement, connut alors une véritable extase : «Je me sentis délivré des liens de la pesanteur, et je retrouvai par le souvenir l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts». Il écrivit des lettres enthousiastes sur cette musique, dont l’une à Poulet-Malassis («Ç’a été, cette musique, une des grandes jouissances de ma vie.») et une à Wagner où il le félicita car, à ses yeux, il excelle à «peindre I'espace et la profondeur». Le musicien le remercia car il fut l’un des rares Français à le saluer. Le 13 mars, il publia dans ‘’L'artiste’’ un article sur Théophile Gautier, où il le loua d’avoir donné l’amour de la peinture aux jeunes Français, «travail plus dur et plus méritant qu’il ne semble tout d’abord… car le public français n’est pas artiste, naturellement artiste ; ce public-là est philosophe, moraliste, ingénieur, amateur de récits et d’anecdotes, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontanément artiste», et il traça en fait son propre portrait en tant que poète conscient et soucieux de son art. En mai, les textes ‘’De l'idéal artificiel, le haschisch’’ et ’Enchantements et tortures d’un mangeur d’opium’’, furent réunis dans : _________________________________________________________________________________ ‘’ |
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