1. La machine espérée







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L'art numérique, point final de l'art "conceptuel" ?


Comment reprocher aux peintres de détester la machine, puisqu'elle tend par nature à marginaliser leur activité même : la création artisanale d'œuvres uniques. De l'antiquité au XXIeme siècle, cette évolution technique se poursuit avec une implacable logique.
Déjà l'antiquité pratiquait le moulage. Les statuettes de Tanagra ont montré qu'il était possible de produire des oeuvres de qualité en grande quantité. Et l'original n'était déjà plus qu'un moule, une oeuvre en creux, sans valeur esthétique par elle-même.
Puis la Renaissance a développé la gravure, comme un art en soi. Dès 1498, un Albert Durer 24 crée spécifiquement pour ce média les chefs d'œuvre de sa série sur l'Apocalypse. L'œuvre originale, essence de la peinture de chevalet, est donc depuis longtemps concurrencée par une oeuvre qui n'a pas d'original à proprement sinon la plaque, sans intérêt artistique par elle-même. Sauf à figurer comme témoin dans des expositions d'estampes, comme un véritable trésor s'il s'agit d'une plaque originale de Durer, mais comme un trésor au second degré seulement.
L'invention de la photographie par Niepce et Daguerre au milieu du XIXe siècle vient concurrencer d'une manière autrement radicale, et dans ses genres de prédilection le portrait (dominé bientôt par Nadar) , mais aussi le paysage (on commence à diffuser des "portfolios" de photographies des grands monuments et des sites) et, un peu plus tard, la scène d'actualité. On n'aura plus jamais besoin de la grande peinture historique d'un Velasquez ou d'un David.
De plus en plus conquérante à l'égard de la peinture, la photographie progresse assez, y compris dans la reproduction de la couleur, pour donner une image assez fidèle des tableaux originaux. Dans l'entre-deux guerres, la revue l'Illustration. Puis, à partir des années 1950, les reproductions de Braun et les grands "livres d'art" (notamment ceux de Skira) tendraient à rendre presque inutile la visite au musée traditionnel, au profit de la reproduction contemplée à domicile, dans l'esprit du "musée imaginaire" de Malraux.
Internet et l'art numérique font reculer encore le tableau dans la profondeur du virtuel, pour ne pas dire du néant . En 1996, Fred Forest fait vendre aux enchères une de ses oeuvres numériques à l'hôtel Drouot. Il était clair pour tous les acteurs informés que l'œuvre n'avait pas de valeur significative en elle-même. 25
En 1998, Jean-Pierre Balpe pousse cette logique à son extrême en déclarant : "L'art numérique n'a pas de valeur... mon générateur de poème Renga a produit un peu plus de trente-six mille poèmes, tous conservés par le Centre Georges Pompidou, mais quel intérêt à partir du moment où une remise en route du programme est susceptible d'en produire une infinité d'autres"26. CQFD : la matrice est infiniment féconde, et produit des oeuvres qui n'ont d'autre intérêt que d'être conservées par un musée national.
Balpe va trop loin, sans doute, mais dit vrai tout de même A force de se contracter sur ses concepts, la matrice n'aurait même plus besoin de public. C'est elle qui devient unique, et qui vaut la peine d'être conservée. C'est le concept original de telle ou telle machine qui devient l'œuvre même. Et ce qu'elle produit physiquement, ou sa présentation dynamique comme une "performance" n'est plus qu'une série d'événements anecdotiques sans importance par eux-mêmes. Acte théâtral, c'est la "première" qui compte.
L'œuvre matérielle ne disparaît quand même pas totalement. Car malgré l'art conceptuel, et malgré le numérique, il reste le besoin d'un ancrage de l'idée dans le concret. "L'intention de l'œuvre d'art n'est pas l'œuvre d'art. La plus riche collection de commentaires et de mémoires par les artistes les plus pénétrés de leur sujet, les plus habiles à peindre en mots, ne saurait se substituer à la plus mince oeuvre d'art". (Focillon 27). Si l'œuvre n'est plus qu'une "première" événementielle, il faut pour l'immortaliser conserver l'objet présenté : les tableaux monochromes du début du XXe siècle, l'urinoir de Duchamp, le fichier numérique vendu aux enchères par Forest, les poèmes produits par Balpe pendant sa présentation, les documents de travail de Christo ou de Buren. Il faut aussi conserver les archives textuelles ou vidéo de l'événement : enregistrements magnétoscopiques de Forest conservés à l'INA, par exemple. L'oeuvre n'est plus dans l'oeuvre, si l'on peut dire. Celle ci n'est plus qu'un objet prétexte, ou l'ensemble des enregistrements audiovisuels qui ont enregistré sa venue au monde.
Rétroactivement, cette marginalisation de l'oeuvre par la machine s'applique aussi à la peinture de chevalet traditionnelle, en tous cas aux originaux de ses chefs d'oeuvre. Ils deviennent pratiquement inaccessibles. Trop chers pour être achetés par le commun des mortels, ils se cachent dans le salon et surtout les coffres de quelques collectionneurs. Dans les musées, ils doivent être protégées des voleurs et des vandales, ou simplement de la foule28. Il faut tenir à distance et canaliser le flot dense et continu des visiteurs. Aller voir la Joconde au Louvre ou la Naissance de Vénus aux Offices de Florence relève désormais du pèlerinage plus que de la jouissance esthétique. C'est la démarche qui compte, avec ses heures de voyage et de queue, pour quelques brefs instants de bonheur devant une oeuvre éloignée, avant que la foule ne vous pousse vers la sortie. Il en restera l'heureux souvenir, une fois revenu chez soi, quand on pourra s'asseoir devant une bonne reproduction, et prendre son temps pour savourer son plaisir, en se rappelant qu'on a été, une fois, jusqu'à l'original.
Ainsi, l'oeuvre n'est-elle plus qu'un concept, un germe de plus en plus abstrait, le point de départ d'une production d'images organisée dans une "chaîne intégrée" où la machine, celle des arts graphiques, de l'audiovisuel et d'Internet, tient le rôle central. Quand elle n'est pas l'oeuvre même !
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