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Du consensus social aux "rhizomes"L'intégration progressive de cette chaîne technique a fait éclater le consensus humain qui s'était organisée autour de la peinture de chevalet traditionnelle et du tableau sacralisé. Désormais, la machine numérique, avec ses noeuds et ses réseaux (Internet et télévision principalement) occupent tout le centre du monde et le monde des images en particulier. C'est à ses marges que se définissent des mondes spécifiques : le "marché de l'art", la création locale des enfants et des peintres du dimanche, la résistance anarchiste des taggeurs, et des "rhizomes" sur la Toile. Désormais, les machines sont unies, et les hommes séparés, soit comme intégrés à la machine, soit en rupture avec elle. Cette situation s'est développée progressivement à partir du Salon des refusés. Le monde du grand public, aujourd'hui télévisuelLe refus par le salon officiel d'accrocher les oeuvres impressionnistes, et en particulier l'Olympia de Manet, puis la décision, machiavélique, de leur ouvrir un "Salon des refusés" ouvre un gouffre entre le monde de l'art et le grand public qui ne sera jamais comblé par la suite. Si l'impressionnisme est aujourd'hui largement accepté, Picasso reste encore souvent, pour la sagesse populaire, le symbole dérisoire du "n'importe quoi". Et comme le signalent toutes les enquêtes sur les "Pratiques culturelles des français", les longues queues aux expositions d'Orsay ou du Grand Palais regroupent toujours les mêmes minorités. De ce point de vue, la peinture ne fait pas exception dans le monde des arts. Il faut déjà être fin mélomane pour apprécier Pelléas et Mélisande, et la foule des raves techno ou des grands concerts rock contraste avec l'élite que visent les recherches de Björk et a fortiori les travaux de l'Ircam. L'image de tout le monde, désormais, c'est celle qui s'imprime dans les magazines ou se filme pour la télévision. Oeuvres de grande qualité, car pensées par des "directeurs artistiques" à la forte personnalité et réalisées avec des moyens considérables par des groupes de créatifs autrement mieux armés intellectuellement et techniquement que l'artiste-peintre traditionnel avec ses pinceaux et sa boite de tubes! Mais ces images n'ont pas droit de cité dans le "monde de l'art". Un monde toujours dominé par une conception romantique pour qui "l'art est en son essence l'expression d'une individualité géniale servie par une compétence artisanale d'élite" (Lyotard 29). Et la vision négative d'un Adorno (selon Gimenez 30) nous pousse à rejeter "toutes les formes modernes de médiations culturelles qui permettraient concrètement le partage des véritables expériences esthétiques". L'arrogance du complexe militaro-industriel poussé à ses extrêmes par l'Amérique néoconservatrice oblige l'art soit à s'y intégrer, soit à se construire en dehors d'elle dans des sous-espaces éclatés. Le "marché de l'art"Pour le "marché de l'art" tel que nous le connaissons actuellement, l'évolution est plus surprenante. Avec le salon des refusés, comme l'ont raconté bien des auteurs (à commencer par Zola, Vollard 31et plus récemment Dominique Bona32) c'est un nouveau monde qui se crée. D'abord les peintres et leur entourage, dont quelques uns sont assez fortunés pour se passer de commandes et même pour aider les moins fortunés de la communauté. Puis quelques marchands, qui créent fort habilement une clientèle de collectionneurs. Ceux-ci sont largement des étrangers, et les toiles impressionnistes vont en grand nombre quitter la France et trouver une renommée à Moscou ou à New-York. Un nouveau jeu social s'organise peu à peu avec les négations successives, les ismes (pointillisme, expressionisme, cubisme, surréalisme...) et les "avant-gardes". Et finalement l'Etat lui-même, accablé de reproches après l'affaire du legs Caillebotte, abandonne l'académisme et la peinture officielle traditionnelle pour contribuer à la constitution du marché actuel de l'art. La rupture va s'approfondir d'autant plus que les constructions de plus en plus volontaristes des peintres et des avant-garde ne peuvent satisfaire longtemps l'activité des novateurs ni alimenter un marché qui s'est donné des standards précis de productivité : on parle d'un minimum de cinquante oeuvres par an... Il faut donc inventer tous les jours un nouveau concept, une nouvelle provocation. Ce monde se porte bien économiquement 33. Mais il passe par une crise de valeurs. L'art contemporain est un labyrinthe 34. C'est "la fin de l'esthétique" 35 un univers d' "artistes sans art" 36. "... le public... attend vainement la révélation des critères esthétiques ayant permis la sélection de telle production plutôt que telle autre. Assurément, ces critères existent mais ils demeurent fréquemment la propriété d'experts souvent compétents mais discrets" 37. Les décideurs publics décident dans l'opacité 38. Certes, il ne manque pas d'observateurs pour critiquer cette situation et contester le fonctionnement de la matrice. Fred Forest l'a tenté juridiquement. Un autre l'a tenté par la violence, comme le raconte Bernard Edelman39. Le 25 août 1993, un des urinoirs de Duchamp est exposé à Nîmes. Un certain Pierre Pinoncelli se présente, urine longuement, puis brise l'oeuvre d'un violent coup de marteau, plus sans doute pour se faire un nom que pour réformer le monde de l'art. Mais son geste, sanctionné pénalement, n'aura pas de conséquences pratiques. Et le marché de l'art va bon train. Famille, marchés locaux, rhizomes numériquesMais la peinture a d'autres niches. Séparées, diverses, mais bien vivantes. La peinture la plus traditionnelle dispose d'un premier atout que ne peuvent lui enlever ni les arts numériques ni les institutions et le marchés officielles : on peut y débuter avec peu de moyens. Du papier et un crayon au minimum, une boite de gouache ou d'aquarelle pour aller un peu plus loin, cela suffit à l'enfant ou à l'adulte pour entrer dans les joies de la création des formes et des couleurs. Depuis la magie physique du pigment qui s'étale sous le pinceau jusqu'aux plaisirs de l'image en tant que telle, soit qu'elle matérialise quelque rêve, soit qu'elle représente - et c'est toujours magique, bien des enfants et des adultes éprouvent sa fascination - quelque chose du réel. L'admiration de papa et maman, des grands parents, de quelques amis, l'oeuvre encadrée dans la chambre voire dans une pièce de séjour complètent un bonheur qui se passe de toute autre médiatisation. Certains vont plus loin. Ils apprennent dans un cours privé ou patenté les techniques artisanales de la peinture, construisent peu à peu ce couplage étonnant de l'œil et de la main qui dansent ensemble devant la toile. Effort du travail, douleurs de l'enfantement, joie de l'œuvre réussie et qui trouve un public, limité mais vrai, à l'exposition annuelle de la mairie ou d'une association plus ou moins puissante. Pour d'autres, la bombe aérosol et le mur ont pris la place du pinceau et de la toile. Contestataire et sans doute irrécupérable malgré les efforts d'un Jacques Lang, le taggeur est le peintre de la rue. On le voue aux gémonies quand il dépasse les bornes de ce qui nous paraît raisonnable. Mais peut-on vraiment souhaiter sa disparition ? Face au rouleau compresseur de la machine télévisuelle, cette forme picturale du "terrorisme" est aussi rassurante que pénible à supporter au quotidien. Quant aux "arts numériques", ou bien ils s'intègrent modestement ou grandiosement à la chaîne principale, ou bien ils s'organisent en "rhizomes", comme le dit par exemple Antoine Schmitt40. Globalement, l'ordinateur n'est encore que marginalement admis, et tout récemment dans le domaine des beaux arts : une place timide dans les grands salons, une absence dans l'enseignement de l'histoire générale de l'art (Serra 41). Ainsi, pour l'art comme pour l'ensemble du monde industriel et audiovisuel, les machines se sont unies progressivement en un vaste système. Autour de lui, les hommes se rassurent de petits "villages gaulois", buvant quelque potion magique conceptuelle et toujours sauvés par les interventions des héros locaux. Mais ils le payent par la marginalisation. Astérix n'est qu'un héros de bande dessinée, historiquement impossible d'ailleurs. En refusant la machine (aussi bien en se mettant servilement à son service avec le "réalisme socialiste"), les peintres se sont mis hors-jeu de l'histoire. Ils abandonnent l'image aux propriétaires des médias, au risque de réduire son rôle à fournir des cerveaux disponibles aux annonceurs, comme Francis Le Lay s'est immortalisé en osant le dire . Il est de temps de faire la révolution cyborg. |
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