télécharger 82.99 Kb.
|
_____07/2006, n. 5 Xavier Malbreil Pour une méthodologie d’approche critique des œuvres de littérature informatique Parmi les objets esthétiques nouveaux nés avec l’informatique, certains s’inscrivent résolument dans le champ des arts plastiques, tandis que d’autres explorent de nouveaux espaces musicaux, et que d’autres encore - parce qu’ils accordent une importance tout particulière au texte, soit comme substrat, soit comme horizon final – sembleraient appartenir au champ de la littérature. Ces œuvres à visée littéraire, dont il faudra préciser pourquoi elles sont appelées œuvres de « littérature informatique », nous posent un certain nombre de questions parce qu’elles sont tout à la fois lisibles et visibles, et parce que des procédures d’interactivité nous invitent à les regarder d’une façon tout à fait particulière. Un certain nombre de critères nous les font rapprocher de la littérature, et c’est pourquoi nous les désignons sous le terme de « littérature informatique » en français et Letteratura elettronica ou letteratura digitale en italien. Devant ces objets esthétiques nouveaux, nous sommes quelque peu démunis, et privés pour l’instant d’un vocabulaire approprié. Il n’est besoin que de rappeler comment nous sommes gênés pour qualifier l’acte de lecture – étant donné qu’il s’agit davantage que d’une lecture : tout à la fois nous lisons des mots, nous voyons des images, et nous interagissons avec l’écran grâce à des périphériques comme la souris, le clavier, ou encore la webcam. Certains ont proposé « écrilecture » pour désigner « les nouveaux modes de fusion des actes de l’écriture et de la lecture que l’on a découverts. »1. D’autres ont parlé de lect-acteur2 pour désigner celui qui lit et qui interagit. Pour ma part, je privilégie le terme d’hyperlecteur, pour désigner celui qui lit des œuvres contenant des liens hypertextes. Là n’est pas le plus important pour l’instant. Il ne faut pas douter qu’un langage critique se formera, qui sera élaboré peu à peu, par les uns et par les autres, en France, en Italie, au Canada, et dans tous les pays où l’on se pose ce genre de questions. L’exemple du cinéma, qui a dû se dégager pas à pas des références au théâtre, pour trouver d’abord son langage propre, sa propre voie, nous montre que d’autres arts ont déjà connu le même cheminement. Quand il s’est agi de trouver un langage critique pour le cinéma, c’est l’écueil représenté par la très forte mainmise de la critique littéraire qu’il a fallu éviter et c’est en se focalisant sur ce qu’il avait de proprement spécifique que le cinéma a forgé son langage critique. Ce qu’il avait de spécifique, c’était évidemment la caméra. La caméra qui capte l’image, mais aussi qui sert à écrire l’image. C’est quand on a commencé à parler du zoom, du plan américain, du champ/contrechamp, du plan séquence, que l’on a vraiment pu parler de ce qui se passait à l’écran, que l’on a vu ce que le cinéma nous apportait de réellement nouveau. Concernant la critique en littérature informatique, le chemin sera certainement le même. Tout d’abord, la littérature informatique devra se détacher complètement de la littérature et/ou des arts plastiques, afin de trouver sa dialectique propre, puis elle devra trouver son langage critique spécifique, en n’oubliant jamais quels sont les outils qui lui permettent d’exister. Mais avant de poser quelques éléments de cette recherche, il faudrait essayer de définir ce qu’est la littérature informatique – en n’oubliant jamais de se demander si elle existe vraiment, ou si elle n’est qu’une chimère inventée par quelques universitaires. La littérature informatique, genre ou champ ? Une œuvre de littérature informatique, et je veux parler ici de la littérature de création, puisque n’entrera pas dans mon propos tout ce qui pourrait ressembler à l’adaptation d’une œuvre antérieure, que l’on ferait migrer d’un support papier vers un support écran, une œuvre de littérature informatique, donc, peut se lire, se regarder, s’observer pour l’heure sur un écran. Elle est l’actualisation par un lecteur mécanico-électronique d’un ensemble fini3, ou infini de fichiers numériques liés entre eux. Pour qu’une œuvre de littérature informatique puisse exister il faut que le schéma suivant soit réalisé : ![]() Schéma émetteur/récepteur Nous voyons là qu’une œuvre de littérature informatique suppose un auteur et un lecteur dans la même disposition de moyens. C’est une spécificité unique pour l’heure dans le domaine des arts, que de mettre le récepteur et l’émetteur dans quasiment la même situation en face de l’œuvre : il faut impérativement un ordinateur pour créer une œuvre de littérature informatique comme pour y accéder. Mais de plus il faut que l’ordinateur de lecture soit compatible avec l’ordinateur d’écriture. La surface de réception, l’écran, entre en ligne de compte dans cette ébauche de définition de façon contingente, car on peut fort bien imaginer une littérature informatique s’écrivant sur un mur, ou sur la surface de nos lunettes de vision, ou encore en trois dimensions, dans l’air. Ce qui importe davantage, c’est le mode de traitement de l’information et la capacité de stockage, sous forme de données numériques, sur lesquelles on s’appuie. Au risque de la tautologie, la littérature informatique est une littérature née avec l’informatique, qui pour l’heure se donne à lire sur un écran. Doit-elle être intégrée dans le champ de la littérature, ou bien recouvre-t-elle un champ inédit, c’est une question que l’on peut se poser. Sans vouloir trancher de façon définitive, on fera remarquer, avec Jean Marie Schaeffer4, dans son article sur la littérature orale, comme le terme « Littérature » désigne par son étymologie ce qui ressort des « lettres », et pourrait sembler exclure toute production artistique non uniquement fondée sur l’écriture et la reproduction de corpus formés de « lettres ». Mais, de même que Jean Marie Schaeffer montre que le terme de « littérature orale » est finalement le plus adapté à désigner ce qu’il désigne, quand bien même le phénomène recouvert n’est pas constitué par des corpus de lettres, mais par des pratiques orales, de même pourra-t-on utiliser le terme de « littérature informatique », quand bien même les corpus envisagés seront composés de lignes de codes numériques binaires assemblées entre elles, formant un tout cohérent et opérationnel. On pourra tout de même préciser que tous les assemblages de lignes de code ne sont pas des œuvres de littérature informatique – et qu’il y faut bien une présence du texte dans la restitution visible à l’écran pour que l’œuvre en question soit identifiée comme faisant partie d’un méta-champ de l’art verbal incluant littérature orale, littérature écrite et littérature informatique5. Il y faut la présence du texte, du texte lisible de préférence et, comme il faut à la littérature orale pour se distinguer du babil quotidien à la fois une préoccupation esthétique et une différenciation à l’intérieur du flux de paroles quotidien, marqué soit par une intonation, un niveau de langue spécifique, soit par un cadrage (framing) manifesté par des formules d’introduction et de clôture, il faudra de même à la littérature informatique les préoccupations esthétiques qui la différencient de corpus utilitaires, ainsi que ce fameux cadrage – qui pourra prendre des formes multiples, dont la première est l’URL. Mais l’URL ne serait toujours pas suffisant pour assurer que le corpus numérique en question est bien d’une nature artistique et ne ressortit pas, par exemple, à l’intérieur d’un même URL au genre de la paraphrase, du commentaire, ou du méta-discours. On pensera par exemple aux sites comme www.e-critures.org, ou http://transitoireobs.free.fr/to/, ou au site anglophone de l’Electronic Literature Organization, http://www.eliterature.org/, qui réunissent sous le même nom de domaine à la fois des textes relevant du méta-discours et des œuvres de littérature informatique. A la question première et dernière de savoir ce qui pourrait différencier un corpus de littérature informatique de tout autre corpus numérique, nous pourrons emprunter rapidement à Gérard Genette, dans « Fiction et Diction » 6, la comparaison entre poétique essentialiste et poétique conditionnaliste, pour remarquer que si la poétique essentialiste nous semble intellectuellement plus satisfaisante, parce qu’elle suppose un rattachement générique des œuvres, et n’impose pas de suivre les goûts d’un critique, ou les inclinations d’une mode – ce qui est le cas d’une poétique conditionnaliste - il n’en reste pas moins que la littérature informatique est encore très mal, voire pas du tout, formalisée en genres, sous-genres, catégories. Bref, elle n’est pas institutionnalisée. Aucune académie pour en certifier l’existence, ni pour décider de l’appartenance ou non des œuvres à leur champ. Mais retenons quand même que la poétique essentialiste avance deux critères de littérarité : par le contenu fictionnel et par la forme poétique. Sous peine de quelques aménagements, ces deux critères pourraient facilement être repris pour décider de l’appartenance ou non des œuvres à la littérature informatique. Encore resterait-il à décider de ce que peut être une « forme poétique » concernant la littérature informatique. Remarquons encore que le champ de la littérature informatique est en cours de formation, et que des sites comme www.e-critures.org, ainsi que ceux cités plus avant, des répertoires émanant de centres universitaires, comme celui de l’Université Ouverte de Catalogne7, ou encore l’initiative présente de l’Université de Bologne8, concourent à cerner son existence. Voilà pour une définition sommaire, mais suffisante pour l’instant de la littérature informatique. Nous retiendrons surtout que la littérature informatique, constituée par des lignes de codes assemblées entre elles, ne peut pas être assimilée à un genre spécifique à l’intérieur d’un champ plus général, qui serait celui de la littérature ou des arts électroniques mais qu’elle recouvre bien davantage un champ nouveau à l’intérieur d’un méta-champ de « l’art verbal ». Littérature orale, littérature écrite et littérature informatique, par ordre d’apparition, sont les trois versants d’une même volition de signifier par les mots, mais pas seulement par les mots, une part de l’humaine condition sous une forme dite poétique. Prolégomènes à une méthodologie d’approche critique des œuvres de littérature informatique. Avant même d’esquisser une méthodologie, nous devons poser comme préalable la question de la possibilité même d’une critique des œuvres de littérature informatique. En reprenant l’objection formulée par Edmond Couchot 9 dans son ouvrage « L’art numérique », nous pouvons considérer que l’œuvre numérique étant par nature instable, puisque son actualisation par un lecteur mécanico-électronique, désigné communément sous le nom d’ordinateur, lui-même actionné par un lecteur humain, est à chaque fois différente, la question du regard critique se pose de façon tout à fait légitime. Le critique ne voyant pas la même chose que le lecteur, et pour certaines œuvres même, à lecture unique, leur non-reproductibilité étant certaine, nous sommes en limite d’une possibilité d’acte de communication. A cette remarque d’Edmond Couchot - mais nous aurions pu également citer Jean Pierre Balpe10 dans les mêmes termes - nous pouvons apporter plusieurs objections, dont nous citerons les principales. Une œuvre de littérature informatique en ligne, puisque nous nous concentrerons pour l’heure sur les œuvres en ligne, est composée d’un ensemble de fichiers numériques reliés entre eux et accessibles grâce à un ou plusieurs URL. Nous voyons donc que deux éléments bien distincts composent l’œuvre, que nous pouvons analyser de différentes façons, avant même de commencer une lecture critique de l’œuvre. Ces données, l’URL et le fichier numérique de l’œuvre sont des données certaines sur lesquelles une critique raisonnée peut se construire, à l’intérieur d’un protocole qui prendra soin de noter scrupuleusement la date et les conditions d’examen de l’œuvre. D’autre part, l’existence d’outils analytiques automatisés, moteurs de recherche et méta-moteurs, qui balaient les URLURLURLUu , en dehors de toute action dirigée de la part du lecteur critique, sera un début de réponse : l’œuvre de littérature informatique peut certes se manifester de façon si contingente qu’elle mette en péril tout acte critique, mais il n’en reste pas moins que son programme, ainsi que sa localisation sur le net, sauf exception, sont stables. A ceux-ci nous pouvons accéder, ou du moins pouvons-nous visualiser les traces laissées par ce programme, ce site, traces accessibles par le biais d’autres programmes, sans intervention de la subjectivité humaine. Nous sommes donc en mesure de proposer les prolégomènes d’une méthodologie d’approche critique des œuvres de littérature informatique qui se décomposerait ainsi :
|
![]() | «littérature informatique» peut sembler à certains comme le mariage de la carpe et du lapin, je vais donc en expliquer le sens | ![]() | «neuromancer», avait imaginé une matrice sur lesquelles se branchent les gens pour vivre une seconde vie |
![]() | ![]() | ||
![]() | «La "mauvaise" littérature, c'est celle qui pratique une bonne conscience des sens pleins, et la "bonne" littérature, c'est au contraire... | ![]() | «critique» une personne dont la profession est d’émettre des critiques pour un journal, un magazine ou une émission |
![]() | ![]() | «conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit» (T. Todorov) et de donner du sens à la lecture... | |
![]() | «résistance» et sa critique des modes et idées «d’époque». Son parcours est celui d’un «combattant», a-t-on pu écrire. «Le cas Bouveresse... | ![]() |