La ville contemporaine fait-elle encore société ? Plus que jamais, les villes sont







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sur le plan spatial et démographique, et contraction sur les conditions

d’un accès privilégié au monde virtuel.
Fort de ce constat, Olivier Mongin avance la proposition suivante

qui a valeur de programme: «En suggérant de revaloriser l’expérience

urbaine, si affaiblie soit-elle, c’est la reconquête des lieux qui devient la ligne

d’horizon. Nous le savons désormais, cette reconquête sera double : à la fois

matérielle, architecturale, mais aussi mentale, car l’urbain est à la fois une

affaire de bâti et un vecteur d’images et d’idées […] Si le souci de revitaliser

le tissu urbain, celui qui passe par toutes une littérature sur les paysages, les

jardins, mais aussi des réalisations exemplaires, est salutaire, la volonté de

mettre l’accent sur les flux et de rappeler leur pression oblige à comprendre

qu’on ne refera pas la ville contre les flux mais à partir d’eux.»
Olivier Mongin s’intéresse alors aux interventions menées ou à

mener dans cet «urbain généralisé et sans limites»: «Désormais les représentations

de la ville oscillent entre ces versions de l’illimité et de l’informe

qui ont pour point commun de repousser les limites et de briser les relations

à un environnement proche. […] Avec l’urbain généralisé s’impose

une représentation du chaos qui suscite des interprétations contrastées en

termes de bon ou de mauvais chaos. Entre le scepticisme apocalyptique de

Paul Virilio, le chaos de la ville informe, et l’optimisme de Rem Koolhaas

84 La ville qui s’invente
parlant de «ville générique», l’urbain généralisé et continu hésite entre la

chute de tension et la surtension, ce qui alimente un imaginaire oublieux

de l’expérience urbaine et de ses liens avec la condition démocratique. […]

Si les flux étaient déjà considérés par les ingénieurs-urbanistes de la charte

d’Athènes comme des moteurs puissants, les lieux bâtis devaient empêcher

le chaos en privilégiant la régularisation et la discipline par le biais

du zonage. La Cité radieuse canalisait les flux afin d’éradiquer toutes les

espèces de chaos. Aujourd’hui, la volonté de composer avec le chaos urbain

épouse des tendances et des formes différentes. On peut retenir trois scénarios:

l’option culturaliste et patrimoniale, le choix de la participation

démocratique des habitants, et une esthétique urbaine non fonctionnelle

qualifiée de conceptuelle. » Il s’ensuit des considérations sur de nombreuses

réalisations ou oeuvres récentes, et notamment sur la perception de cet

urbain généralisé et continu par Rem Koolhaas, à la lumière des territoires

du Nord de l’Europe occidentale, la Randstadt, etc. (cf. le terme de junkspace

et l’expression fuck context), lui inspirant pour finir cette réflexion :

« Inutiles de miser sur des utopies, l’urbain généralisé et son caractère trash

sont la rançon d’une absence de politique». Et de citer Koolhaas: «C’est

l’agrégat des décisions non prises, des questions qui n’ont pas été affrontées,

des choix qui n’ont pas été faits, des priorités indéfinies, des contraintes

perpétuées, des compromis applaudis et de la corruption tolérée » (entretien

avec Patrice Noviant, supplément au n° 516 de Courrier international),

justifiant par là même son ironie sur les vertus de la ville européenne et son

idéalisation. « Le procès que Koolhaas instruit contre la ville européenne

n’est pas inutile s’il invite à regarder ce qui se passe effectivement «ailleurs»,
s’il se présente comme un appel à la lucidité. »
Des extraits du rapport du bureau des Établissements humains

des Nations Unies, The State of the World’s Cities 2001 (Nairobi), remettent

alors en perspective l’urbanisation galopante de la planète, et par
Conditions urbaines 85
contrecoup, la marginalisation de l’Europe. «Au-delà de leur opposition

avec la ville européenne, les villes-masses pèsent désormais sur les représentations

de l’urbain et de la ville. Elles deviennent la matrice de « la ville

panique» qui affecte jusqu’aux représentation et aux images mentales, une

vieille tradition des villes occidentales depuis Sodome et Babel.»
Plusieurs notions sont alors passées en revue : l’autodestuction

et la déjection de la Los Angeles de Mike Davis, l’urbicide de Bogdan

Bogdanovic, l’archipel mégalopolitain mondial d’Olivier Dollfus, la ville

globale de Saskia Sassen, l’étalement urbain (urban sprawl) et la métropolisation

de Bernardo Secchi, ce « phénomène urbain universel qui

désigne la prévalence des flux sur les lieux »… Analysé par Cynthia Gorra-

Gobin, l’étalement de la ville américaine se traduit par une prolifération

de formules expressives (exurb, suburban corridors, clusters, edge cities,

gated communities, spatial mismatch…) qui toutes rendent compte de

cet éclatement urbain informel. « Au-delà même de l’éclatement spatial,

du démembrement de l’ensemble urbain, une séparation mentale prend

le dessus : le social, le spatial et le mental suivent la même évolution ».

Olivier Mongin se réfère alors à la Ville à trois vitesses de Jacques Donzelot

(revue Esprit) : « La distance entre les cités d’habitat social et le périurbain

pavillonnaire, entre celui-ci et les centres gentrifiés des grandes villes, est

vécue comme le rejet d’un univers par l’autre, alimentant les frictions et

l’amertume, le sentiment de ne pas appartenir à la même ville, à une même

société ». La situation observée donne lieu à plusieurs forme d’« entre-soi

résidentiel », plus ou moins contraint ou recherché, que l’auteur rapproche

de ce qu’il appelle « le dilemme des classes moyennes », menacées de

dilution après leur avènement. Deux métropoles sont étudiées sous cet

éclairage : Le Caire où leur émergence demeure problématique, et Buenos-

Aires où elles sont « à l’abandon » après avoir été constituées. Concernant

la France, Olivier Mongin cite Eric Maurin : « La dramaturgie française de

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la ségrégation urbaine n’est pas celle d’un incendie soudain et local, mais

celle d’un verrouillage général, durable et silencieux des espaces et des

destins sociaux » (Le Ghetto français, enquête sur le séparatisme social, La

République des idées, Le Seuil, Paris, 2004).
troisième partie
L’impératif démocratique
« L’évolution contemporaine de la ville oblige, plus que jamais,

à retrouver le sens politique de la cité qui passe par une résurgence des lieux

face aux flux globalisés. […] Comme les Grecs, nous devons faire mémoire

de nos actions et anticiper un monde plus juste, ce qui requiert un espace

d’appartenance qui ne soit ni celui de l’ethnicité, ni celui de la sécession

volontaire. C’est en regard de ce troisième sens, un sens politique destiné à

remettre ensemble ce qui est en voie de séparation, que les deux premiers

sens de la condition urbaine peuvent se rejoindre, comme si l’un venait

répondre à l’autre. L’utopie urbaine retrouve un sens, mais elle ne s’écrit

plus d’une seule main, elle n’est plus le fait d’un auteur unique, elle correspond

à une aventure collective. » Olivier Mongin plaide en conséquence

pour «un retour des lieux», de passer «du global au local».
«Les lieux n’ont pas disparu avec la globalisation, la dé-territorialisation

va de pair avec une re-territorialisation, soit le dépli infini et

souvent monstrueux de la ville-monde, soit le repli de la ville globale ou

de la cité ethnique.» Comme le note Jean-Toussaint Desanti: «Internet est

un instrument admirable de communication, un instrument admirable de

constitution en commun de champs de rationalité, mais cela ne suffit pas

à constituer un monde habitable» (La liberté nous aime encore, Odile Jacob,

Paris, 2001). «Un glissement de l’action du global au local ne consiste pas

à prendre en compte un niveau marginalisé, mais à tirer toutes les conséquences

de la place désormais impartie au local. […] Revenir au local, c’est
Conditions urbaines 87
tenir compte de son rôle spécifique mais aussi prendre appui sur lui pour

construire des limites et recomposer des lieux. Si une dynamique de fragmentation

est à l’oeuvre, l’absence de réponse globale, les ratés de la «globalisation

par le haut» invitent à imaginer autrement les niveaux de l’action

sur le plan territorial, et à inventer en conséquence la «globalisation par le

bas». […] Puisque la mondialisation institue «ses» lieux, il est urgent de

privilégier des types de lieux par rapport à d’autres, et d’admettre que la

qualité d’un lieu va de pair avec la qualité du lien. […] Si l’expression «lutte

des lieux» (cf. Alberto Magnaghi, Le projet local, Mardaga, Bruxelles, 2000)

remplace au pied levé cellede «lutte des classes» qui va depairavec la société

industrielle et son mode de conflictualité, elle ne doit pas inviter à la candeur.

[…] Dans ces conditions, les interrogations persistent: est-il possible

d’imaginer des lieux qui ne soient pas une simple résultante des flux, mais

des lieux qui limitent les flux et parviennent à retrouver le sens des limites?

Si c’est le cas, de quels lieux s’agit-il? Une certitude peut être avancée dans

tous les cas: la culture urbaine peut retrouver un rôle si elle tente de limiter

l’urbain généralisé et illimité. […] Le retour aux lieux est lui-même une

expérience, ceux-ci ne sont pas donnés, il faut les construire.»
À son plaidoyer « pour une culture urbaine des limites »,

Olivier Mongin associe l’expérience urbaine, celle susceptible de « contrer

les processus en cours en rétablissant une culture des limites et de la

proximité ». L’auteur s’en réfère à Henri Gaudin : « Même si la notion de

limite est nécessaire à notre compréhension, il nous faut bien distinguer,

pour échapper à la schizophrénie, le contenant du contenu. Force est de

reconnaître que notre tâche n’est pas de dispenser seulement aux hommes

des abris, mais de faire du monde leur Habitation. Postulons alors que

nous n’habitons pas seulement notre appartement mais la cour, la rue

et la ville jusqu’à l’horizon » (Art et philosophie, ville et architecture, La

Découverte, Paris 2003). Après avoir rappelé que le corps reste un seuil

88 La ville qui s’invente
et que notre relation au monde reste scandé par notre perception d’un

dehors et d’un dedans, l’auteur revient à la culture urbaine qui nécessairement

se nourrit du patrimoine. Mais « la faiblesse de la culture urbaine

en France invite à sortir de l’Hexagone et à comparer les expériences »,

constat dont la France ne sort pas grandie.
« Après les années d’après-guerre durant lesquelles l’urbanisme

progressiste triomphe, en tout cas dans l’Hexagone, la volonté, tant du côté

des architectes que des urbanistes, de repenser le cadre urbain lui-même

s’est imposée. Suffisait-il de répondre à l’urbanisme progressiste, celui de

la table rase, par l’urbanisme culturaliste, celui qui valorisait la tradition et

le rapport avec la nature ? Apparemment pas. Anticipée en Italie entre les

deux guerres, architectes et urbanistes ont ré-imaginé une culture urbaine

dans le contexte post-urbain. Cette culture urbaine s’est donnée comme

tâche prioritaire d’inscrire l’espace urbain dans une durée, et de respecter

la relation entre passé, présent et avenir. Ce qui fait échos aux trois âges

de la ville mis en scène par Christian de Portzamparc. […] Quant à la

troisième ville, elle n’est pas l’aboutissement dialectique des deux villes précédentes

mais un résultat hybride, celui qui correspond à de nombreuses

villes contemporaines en Europe. Or, ce caractère hysbride, indissociable

du devenir métropolitain de l’urbain, exige de penser la culture urbaine en

termes de raccord, de couture, entre l’ancien et le nouveau, entre le centre

et la périphérie, et non pas de revenir à la bonne ville classique.»
Gustavo Giovannoni et l’exemple de la reconstruction de

Bologne montrent que « cette culture urbaine ne correspond pas à un simple

travail de couture entre l’ancien et le nouveau, mais à une volonté urbanistique

de circonscrire le développement de la ville et d’en dynamiser le tissu

narratif qui ne se réduit pas à la singularité de la seule ville ancienne, celle

des touristes et des musées. […] L’avenir de la ville européenne est là, un

avenir incertain et protéiforme. […] Oscillant entre la patrimonialisation
Conditions urbaines 89
et l’invention d’un avenir incertain, la nouvelle culture urbaine marque

une rupture avec l’urbanisme progressiste, elle ne hiérarchise pas plus la

relation du centre et de la périphérie que celle du passé et du présent. […]

Comme le souligne aujourd’hui Guiseppe Dematteis ou Alberto Magnaghi

en Italie, un projet urbain doit être jugé à l’aune de sa capacité à mobiliser

des acteurs dans la durée. » […]
« Giovannoni met donc en garde dès l’entre-deux-guerres contre

l’hégémonie des flux, contre la muséification et contre la tendance ancestrale

des architectes à se comporter comme des artistes solitaires, à produire

des machines célibataires ignorant tout de l’environnement urbain où elles

s’inscrivent. […] En France, alors qu’ils jouissent d’un succès public manifeste,

les architectes continuent pour beaucoup à se prendre pour des artistes

solitaires.» Après avoir relayé les propos critiques de Lewis Mumford sur

Frank Lloyd Wright (cf. Le Piéton de New York), Olivier Mongin reproduit

ceux de Françoise Choay préférant les exploits des grands ingénieurs aux

plaisirs célibataires des artistes de l’architecture, « sans les calculs et l’art

desquels nos vedettes actuelles apparaîtraient pour ce qu’elles sont: des dessinateurs

de logos » (François Choay, in Urbanisme n° 309).
«Pour Henri Gaudin, la distinction entre urbanisme et architecture

est infondée dès lors que l’on pense la construction comme un entrelacement

de plusieurs formes et non pas comme la construction d’objets

solitaires. Pour Bernard Huet, le projet est déjà existant comme contexte,

et celui-ci comme projet. (cf. l’existant comme «projet caché» à révéler et

l’art urbain comme «art d’accommoder les restes») […] Pour Koolhaas, le

contexte, celui du junkspace, ne justifie pas d’autre intervention que celle

du coup de maître architectural.»
Ici, l’auteur passe en revue à travers diverses réalisations l’art

d’ouvrir la matière de Portzamparc, de Gaudin de créer des rythmiques

urbaines, ou encore d’agglutiner et d’agglomérer d’Alvar Aalto, avec pour

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