La ville contemporaine fait-elle encore société ? Plus que jamais, les villes sont







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toile de fond la dialectique public-privé, «Alors que l’idéal type de l’expérience

urbaine conduisait du privé au public puis au politique, la priorité

politique est la condition d’une expérience urbaine qui ne soit pas le propre

de populations regroupées «entre-soi» dans la «ville à plusieurs vitesses».

[…] Le retour au local implique une lutte pour les lieux, une lutte entre

les lieux, une lutte hautement symbolique pour des lieux où l’esprit de

l’urbain fait encore sens. Exigence lointaine? Certainement pas, refaire

des lieux consiste à contrer des dynamiques de morcellement, à refaire de

l’unité, à redonner cohérence là où des pôles se séparent en se contractant.

L’expérience politique est désormais prioritaire, elle permet seule de recadrer

des lieux urbains comme des lieux rendant possible la vita activa, une

action politique commune.»
L’Occident, cette sorte de «luxe du monde» selon Fernand

Braudel, et les villes européennes montreraient-elles une nouvelle fois la

voie? «Alors que s’imposent les modèles de la ville-monde et de la ville globale,

alors que le primat des flux et le mouvement de privatisation accompagnent

la dynamique métropolitaine, la ville européenne se confond

historiquement avec l’expérience urbaine. […] Peut-on en faire un modèle?

N’est-ce pas la prétention de la ville européenne, celle dont se gausse Rem

Koolhaas, que de se croire préservée d’un développement urbain anarchique?

[…] La ville moyenne qui renvoie à l’idéal-type (Amsterdam) de la

ville compacte (maximum de diversité dans un minimum d’étendue) laisse

progressivement place à une dynamique de croissance par la périphérie qui

celle de la ville diffuse dont l’idéal-type est Johannesburg. […] Entre le projet

local de Magnaghi et l’urbanisme globalisé, le destin de la ville moyenne

européenne demeure fragile et incertain.» […]
La «politique de la ville» à la française retient alors l’attention

de l’auteur qui tire au passage les « leçons d’une comparaison France-

Amérique ». Il aborde ensuite le thème de la participation démocratique
Conditions urbaines 91
dans la perspective d’une revitalisation du niveau local, s’attachant à l’expression

polémique de François Ascher, «la République contre la ville» (cf.

La République contre la ville, essai sur l’avenir de la France urbaine, éditions
de l’Aube, La Tour-d’Aigues, 1998). […]
« Si la résurgence des lieux est un point de départ, elle ne détermine

en rien la possibilité de retrouver le sens de l’émancipation urbaine.

Celle-ci passe aussi, dans un monde du réseau où les lieux sont interconnectés

et démarqués de leur environnement, par la possibilité de changer

de lieu. […] À moins que l’on décide de «boucler» des espaces où les habitants

ne peuvent que «la boucler»!» […]
« Si une politique de la ville effective doit s’accorder avec

l’impératif de la mobilité, l’expérience utopique rappelle pour sa part

que la constitution d’un lieu est de nature collective. Lieu, mobilité

et mobilisation collective vont de pair. La question urbaine débouche

alors sur un triple impératif : constitution d’un lieu, exigence de

mobilité afin d’échapper à la clôture d’un territoire, action collective

renvoyant à la participation des habitants. […] Plus que les lieux, les

gens sont générateurs de ville. […] Le lieu ne donne pas tout, il ne

peut suffire à l’action, à la vita activa s’il ne fournit pas l’occasion de

tisser des liens avec d’autres lieux, s’il ne rend pas possible une mise en

mouvement. » Autrement dit, il n’y a pas de lieux sans mobilité, dernier

paradoxe noté par l’auteur.
En conséquence, « une utopie contemporaine ne peut plus

correspondre à un « espace bâti modèle », elle doit tenir compte d’un

équilibre écologique et anthropologique fragilisé par l’urbain généralisé,

et mettre en scène des liens entre les corps, la terre et la nature. […] Seule

l’exigence collective, celle qui orchestre la mobilité, la mobilisation et la

participation, permet de passer d’un projet du type de celui de Thomas

More à l’utopie contemporaine.

92 La ville qui s’invente
conclusion Au milieu de la ville

et entre deux mondes
« L’imaginaire urbain n’a pas disparu pour autant, la ville

comme «chose mentale» ou comme référence mythique à un lieu, même

s’il n’est plus un «lieu commun», demeure. L’idéal-type de la ville invite

à ressaisir les «conditions de possibilité de l’expérience urbaine» dans un

espace-temps post-urbain, celui de l’après-ville dont la mégacité et la ville

globale sont les deux figures extrêmes, celui dont la métropolisation est le

moteur historique. […] Recréer les conditions physiques, spatiales, scéniques

et politiques d’une expérience urbaine, inséparable de la saga démocratique,

est d’actualité. «Au milieu de la ville», comme le dit l’architecte

Bruno Fortier : « peut-être ne faut-il plus de murs ? Peut-être est-il grand

temps de se dire qu’en effet nous sommes au milieu de la ville?»» […]

C’est pourquoi la ville, avec la double exigence qui la caractérise — l’institution

de limites et une culture de la proximité — est le noeud des inquiétudes

relatives au corps individuel comme au corps collectif. » […]
« En dépit d’un urbain généralisé qui ne crée pas une civilisation

commune, l’expérience urbaine demeure nôtre, au sens où elle a pour rôle

de favoriser la vita activa, c’est-à-dire de rendre possible un «affranchissement

» qui passe simultanément par un lieu-dit, par un espace d’habitation

mais aussi par une mobilité qui entrelace l’individuel et le collectif.»
L’espace contre le réseau,

incises et parenthèses rennaises
À Rennes comme ailleurs, la croissance périurbaine développe ses logiques :

urbanisme de la route, sectorisation du territoire par les infrastructures,
Patrick Germe,
architecte-urbaniste, concentration et périurbanisation des fonctions commerciales, patrimonia

enseignant à l’école
d’architecture lisation de la ville ancienne. Là comme ailleurs, les logiques des réseaux
de Paris-La Villette.
(circulation, communication, signification) rencontrent et bouleversent les

logiques de l’espace (localisation, échange, usage). Et pourtant, la dispersion

et la délocalisation des fonctions urbaines portent en elles la territorialisation

de la métropole et offrent à l’action publique d’aménagement, si

elle le veut bien, un espace concret, sédimenté et qualifié pour inventer de

nouvelles typologies et de nouveaux espaces publics…
L’exception rennaise
«L’exception rennaise» est un encouragement. Elle montre

simplement que dessiner la ville, ordonner son espace n’est pas une utopie

régressive, que les outils, les techniques et les appareils de contrôle et de

maîtrise publique de l’aménagement existent, qu’ils peuvent être renouvelés

et adaptés à la métropolisation. Elle montre également à quel point le

projet de la ville est d’essence politique, à quel point il repose sur la ténacité,

la volonté et la résistance de ses élus, sur leur capacité à impulser une

administration compétente, stable et confiante dans ses prérogatives. Elle

montre enfin que la régulation et la contractualisation des acteurs économiques

associés aux aménagements peuvent être consenties et devenir facteurs

de développement. «L’exception rennaise» accorde ses pratiques à ses principes.

Elle efface la schizophrénie de l’urbanisme réel qui sectorise à tour

de bras tandis que l’urbanisme de projet reste au fond des tiroirs, jouant le

94 La ville qui s’invente
1. Mangin réunit

dans une description

conjointe « l’urbanisme

de secteur» fait d’unités

de voisinage séparées

par les infrastructures

où la mobilité l’emporte

sur la géographie

physique, la sectorisation

de l’espace sur le tracé,

et la ville franchisée

faite de franchises

commerciales et de

vastes domaines séparés

des zones commerciales,

technopôles, parcs

à thèmes et lotissements

fermés. David Mangin,

La ville franchisée, Paris,

éditions de la Villette,

2004.

Koolhaas critique

les ambiguïtés de

l’identité qui centralise,

en vantant les vertus

de l’impersonnalité

et les mérites sans

épaisseur et sans histoire

du générique et de ses

résidus. Rem Koolhaas,

«La ville générique»,

in Mutations, Bordeaux,

Arc en rêve, Actar, 2000.

rôle de faire-valoir et d’affichage politique. «L’exception rennaise» n’op

pose pas un urbanisme de l’excellence à l’urbanisme ordinaire. Le projet
urbain y est au contraire ordinaire et légitime. Rennes n’a pas son Euromed
ou son Euralille, phares solitaires dans l’ombre desquels l’énorme masse
des opérations quotidiennes piétinent ou sont laissées au cynisme de la
promotion immobilière.
La Courrouze, Chardonnet-Baud sont par exemple de grands
sites qui disposent des mêmes moyens et des mêmes modalités opération

nelles que les multiples Zac de la ville qui reflètent une maîtrise publique
pratiquement exhaustive de l’aménagement (24 Zac entre 1980 et 2000
pour 23 000 logements produits). Je puis témoigner de la confiance et de la
légitimité qui sont accordées à chaque urbaniste de Zac. Une légitimité qui
n’exclut ni le contrôle ni le débat. L’unité métropolitaine projetée n’est pas
l’homogénéité. Elle resserre les intervalles, induit de la contiguïté, donne
sens à la diversité des lieux et des typologies, et finalement produit de la
différence. Si les logiques de projet ne sont acquises nulle part, elles ne sont
nulle part impossibles.
La ville franchisée et générique

n’est pas une fatalité
La ville franchisée (cf. David Mangin), sectorisée et cloisonnée,

la ville générique (cf. Rem Koolhaas) 1, et disons le clairement la ville néolibérale,

désignent une même urbanisation dispersée au moyen de l’automobile

et de la route, suivant la logique du réseau et de la canalisation des flux

qu’accompagnent de multiples processus :
— privatisation de la ville,

— délaissement de l’espace public et désengagement des États centraux,

— généralisation sur l’ensemble du territoire des logiques de réseau et de

délocalisation,

2. L’expérience

de la recomposition

urbaine d’un grand

ensemble de la fin

des années soixante

résultant d’une logique

de plan masse, qui est

relativement facile, peut

être utilement comparée

à celle, extrêmement

difficile, d’un grand

ensemble des années

1980, unité de voisinage

sur dalle où tout est à

l’envers. C’est peut-être

une raison pour

s’inquiéter des

recompositions urbaines

à venir des grandes

périphéries.

3. Suivant

la terminologie

de Bernardo Secchi,

Prima lezione

di urbanistica,

Laterza et Figli, 2000,

(traduction française :
Première leçon

d’urbanisme, Marseille,

Parenthèses, 2006).
l’espace contre le réseau 95
— déréliction des espaces constitués, destruction des lieux et de leurs limites,

clôture et sécurisation,

— patrimonialisation et réification de la ville historique et des territoires,

— extension de la sphère privée et individualisation des modes de vie,

— déréalisation de l’espace privé scénarisé à la façon de sitcoms,

— sacralisation de gestes architecturaux et confinement de l’architecture

dans l’économie du luxe et les arts de la mode, dictature du kitsch et de

l’image,

— disparition des significations publiques de l’architecture, des paradigmes

de la monumentalité et des typologies au profit de modèles simplifiés et

décorés,

— développement de puissants opérateurs privés capables de livrer des morceaux

de ville clef en main,

— sectorisation et fractionnement du tissu urbain.

L’urbanisme de réseau de la ville franchisée et générique ne se

confond pas avec l’urbanisme fonctionnaliste de la ville moderne qui restait

une ville tracée, articulée à un espace concret, habité et territorialisé 2. Elle

lui succède et l’anéantit au même titre que toute ville historique. Cette

ville, dite « émergente », paraît à beaucoup inéluctable, telle une fatalité

technique, corollaire de la globalisation, aussi naturelle que la dérégulation

des marchés.
De la logique de l’espace à la logique du réseau: de quand dater

«ce changement de paradigme»? À quel moment la ville moderne et la ville

continue emboîtées explosent, se sectorisent puis se détruisent? À quoi rattacher

la rapidité de cette transformation? Coup d’État chilien et envoi des

nouveaux économistes du fmi

par Nixon auprès de Pinochet, collusion stratégique

de Reagan et de Thatcher, chars de Tienanmen? La «ville contemporaine

» 3 est en tout cas extrêmement jeune, postérieure à la crise pétrolière

qui voit en France l’achèvement des infrastructures de contournement des

96 La ville qui s’invente
4. Dans telle métropole,

l’État central réalise

une rocade autoroutière

somptueusement

recouverte, sans

que la métropole

ait convenu avec lui

des franchissements

nécessaires ni de

l’accessibilité des

nombreux délaissés.

La nouvelle

infrastructure cloisonne

et enferme dans un mur

terrifiant l’aire urbaine

centrale, la sépare

de la périphérie qu’elle

était sensée réunir.

Dans telle autre, l’État

renonce à une grande

voie nouvelle, nécessaire

au reclassement urbain

d’un contournement

autoroutier et au

maillage de la périphérie

parce que chaque maire

défendant son clocher

a préféré l’enclavement

et le statu quo au

développement.

Qui n’a pas entendu

tel chargé de mission

d’une collectivité locale

râler contre l’État

et tel DDe pester contre

la vision bornée de tel

élu chacun oubliant

qu’ils collaborent à un

seul et même appareil

d’État. Chacun peut

constater en France

qu’aujourd’hui, il est

pratiquement impossible

de réaliser une nouvelle

voie urbaine.
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