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villes. C’est en France le moment de la décentralisation, l’État s’est fragmenté, parcellisé, sectorisé en de trop nombreuses collectivités territoriales dispersant ses moyens et ses ressources dans des administrations concurrentes 4. «(L’État) a partiellement renoncé, surtout depuis les années 1970-1980 à jouer le rôle intégrateur qui était le sien auparavant. Le corollaire, c’est le retour à la société civile, la résurgence des identités collectives — régionales, linguistiques ou religieuses — que l’État, fort de sa vocation universaliste, tenait un peu à l’écart 5 ». Comment, en effet, ne pas rappeler la nature et la déprise politiques qui caractérisent le développement de cette «ville contemporaine», une ville ou une disparition de la ville qui ne se limite pas à l’urbanisation dispersée de la grande périphérie, mais qu’accompagnent la patrimonialisation des centres villes, la décomposition et la ruine des vieilles banlieues, la ville pourrie accrochée aux rocades ou imbriquée dans les faubourgs (cf. les junkspaces de Rem Koolhaas), etc.? La ville franchisée, générique, néolibérale, n’est pas un modèle constitué. Elle ne répond pas où peu à des logiques théoriques, techniques ou de projet. Elle est avant tout, un processus et une stratégie d’acteurs : un objet de spéculations que l’on devrait se garder d’idéaliser. Bernardo Secchi l’observe en la désignant pudiquement sous le vocable de la «ville contemporaine»: «Cette image […] d’une ville qui existe, mais qui est en attente d’un projet, propose les mêmes thèmes et les mêmes interrogations que les phases initiales de chaque époque 6 ». Elle n’existe par définition jamais à l’état pur, sa réalité est toujours hybride. Les logiques spatiales interdites coexistent à côté des logiques de réseaux et en permettent le fonctionnement (stationnement illicite en bord de route, traversées piétonnes sauvages 7, etc.). Ce n’est jamais un état stable, mais au contraire, un état de crise permanente. La confrontation avec la réalité de la géographie crée des tensions, (infrastructures bloquées, enclavements et fragmentation des territoires, friches), des dégradations et des dysfonctions urbaines effrayantes : 5. Pierre Birnbaum, propos recueillis par Thomas Wieder, Le Monde des Livres du 16 mars 2007. 6. Bernardo Secchi, op cit. page 131. 7. Constituer l’espace qui reçoit le réseau, donner un ancrage et une épaisseur d’usage à ce qui par définition n’en a pas, urbaniser et acclimater les infrastructures par exemple, est toujours une question pertinente qui renverse et subvertit le modèle. l’espace contre le réseau 97 le sud lillois ou l’est marseillais sont, par exemple, des territoires en passe d’être bloqués et détruits. Les zones hybrides de campagne et de ville ne fonctionnent qu’à condition d’une sous-densité provisoire. La densification des bourgs suscite rapidement la saturation du réseau. La multi-modalité relègue définitivement les populations qui ont été abusées par la promesse d’une infrastructure fluide. La logique de réseau bloque et ne fonctionne pas. Elle est par essence guettée par la congestion et par la vacuité des espacements enclavés et délaissés. Pour beaucoup de métropoles et pour ceux qui résident le plus loin, c’est aujourd’hui trop tard. Certains phénomènes que l’on tend à associer dans la description de la ville contemporaine ne devraient pas l’être. La corrélation entre individualisation des modes de vie, extension de la sphère privée et privatisation des villes est pour le moins discutable. Le temps très court de la privatisation des villes à laquelle on assiste aujourd’hui est étranger au temps long de renforcement de la sphère privée qui prend sa source dans le noyau familial et le développement des classes moyennes. La ville générique est un choix: un choix politico-économique qui ne s’énonce pas comme tel et qui se déploie dans un vaste silence. L’engagement critique des architectes contemporains sur les questions territoriales et urbaines est trop rare. Il paraît devoir être mesuré à l’aune de leur présence de plus en plus marginale dans la production bâtie ordinaire et de masse. La lecture du meilleur de la théorie architecturale et urbaine est troublante. Sa perspicacité (cf. Koolhaas et Secchi) n’empêche pas une tendance à naturaliser, à idéaliser et ainsi à légitimer les formes urbaines du capitalisme contemporain, voire à les restituer comme modèle théorique, comme esthétique ou comme logique de projet. La boîte décorée de Venturi fait figure de précurseur. Le plaidoyer pour les espaces ouverts de Bernardo Secchi (le campus comme prototype de nouveaux tissus urbains), les parcours sans origine et sans fin, les agglomérations de fragments que 98 La ville qui s’invente présentent les bâtiments de Koolhaas laissent rêveurs. L’ironie et l’apocalypse joyeuse, la légitimation et l’esthétisation de la « ville trash », justifiée par la présupposée impuissance du politique vis-à-vis de l’économie globalisée, les architectures narcissiques de l’image ne se risquent pourtant pas à critiquer le système de la mode et du luxe qui leur passe commande. Le réseau contre l’espace La ville franchisée et générique obéit aux seules logiques des réseaux (route, logistique, assainissement, énergie, toile) c’est-à-dire aux logiques mono-fonctionnelles de flux et de mobilité. Quand l’espace et l’usage disparaissent… Il est dans l’ordre de la marchandise et de la valorisation capitaliste de chercher à se défaire de la contrainte de l’espace et du lieu, d’en effacer les délimitations, de chercher à supprimer toute rupture de charge, tout arrêt de travail…. La production de la marchandise soumet le corps, le sujet, le lieu et le contexte à l’espace abstrait et homogène qui sied à l’industrie. L’espace industriel n’a jamais été localisé et le prolétaire, depuis toujours, est «sans feu ni lieu»…. Le Karl Marx des Grundrisse et le Walter Benjamin de L’OEuvre d’art au stade de sa reproductibilité technique ont montré comment la logique de la marchandise produit la logique de la fonction en épuisant la valeur d’usage, comme l’espace concret de l’objet oeuvré. L’espace «moderne» s’est affirmé progressivement comme l’espace de la séparation des fonctions et comme un espace ouvert et sans limite. Il oppose d’un côté le réseau, la route et l’infrastructure, et de l’autre l’espace et le voisinage dans l’espace pictural du plan-masse. Mais si les traits, les champs colorés, les barres fantomatiques errent dans un espace sans sujet et sans statut, c’est encore un espace: les barres au moins tiennent ensemble ! La ville néolibérale va beaucoup plus loin, en superposant la stricte logique du marché à la logique de la marchandise, en agressant l’espace contre le réseau 99 la logique technico-industrielle et ce qui s’y maintient du travail et de l’espace concret. C’est l’espace lui-même qu’elle fait disparaître. La logique de réseau est une logique de flux et de circulation pures. Le réseau a pour objet de s’affranchir de l’espace en tant que lieu, en tant que distance, en tant que corps tridimensionnel de relations et d’échanges. Le réseau est lui-même sans consistance spatiale et architecturale, étranger à l’épaisseur et à la profondeur. Il est transparent. Il fonctionne mais ne produit rien et, sauf accident ou surchauffe, il ne s’y produit rien. Le réseau n’est pas de l’ordre du visible: circulez, il n’y a rien à voir! …règne le kitsch… La ville générique produit le kitsch et le pastiche. La logique du marché n’est que logique de communication. La signification, la distinction, la marque, l’enseigne ont remplacé définitivement l’épaisseur de l’usage. L’espace domestique est raconté et enchanté dans la signification d’un terroir fantasmatique (la Toscane voisine avec la Louisiane, l’Île-de-France avec le Pays Basque). La marchandise substitue les signes aux choses. Nous habitions des cages à lapins, mais des cages tout de même… Désormais, nous habiterons des maisons Disney. …où nous habitons comme dans une sitcom sécurisée. Le réseau annule l’échelle, annule l’espace, annihile les sens et la perception. L’espace réduit au zonage puis au réseau a perdu en profondeur : il s’est écrasé comme une surface immatérielle. La construction allégée au maximum, réduite à l’enveloppe, a perdu l’épaisseur et la densité. Les architectes n’ont plus qu’à ramasser les plats, à sanctifier la boîte décorée sur le parking gardienné. La délimitation spatiale, enjeu et condition de toute appropriation, est remplacée par la clôture. La boîte est décorée puis sécurisée. La sécurisation du réseau remplace la médiation de l’espace. Le fonctionnement du réseau suppose une circulation parfaitement étanche sans autre ouverture que celle de la prise et du « switch ». La surface enrobée, entourée de grillage soudé et de portails 100 La ville qui s’invente mécanisés est devenue une fidèle analogie du capitalisme néolibéral. La durée comme l’espace est à son tour écrasée, devenue aussi plate qu’un simple calendrier des postes. Le temps sans histoire et saisonnier répète inlassablement la dualité du travail et des loisirs. L’espace contre le réseau Prévalence de l’espace. Par-delà le fonctionnalisme, la tradition « moderne » est hétérogène et largement ancrée dans la question spatiale. Le projet spatial moderne n’est pas sans puissance de feu critique vis-à-vis du fonctionnalisme en y introduisant le corps, avec ses gestes, ses sensations, ses désirs. L’espace des grands Modernes, pictural et architectural, est d’abord un espace intérieur: une texture dont on questionne la limite en cherchant à l’estomper quand ce n’est pas à retourner l’extérieur à l’intérieur ou l’inverse. Sa matérialité et sa prévalence dicteront le travail d’un Mies van der Rohe ou, dans une moindre mesure, d’un Le Corbusier. Et si la pensée de la ville de ce dernier cumule vision fonctionnaliste et vision picturale, il y a bien à ses côtés une tradition moderne de la métropole et des territoires (d’Olmsted à Prost). Louis Kahn représente pour les architectes de ma génération une architecture dédiée au service de l’espace où le vide creusant ou écartant le corps des choses leur confère habitabilité et sens. La prévalence de l’espace s’imposera à ma génération écartelée entre l’optimisme ardent du « Droit à la ville » d’Henri Lefebvre et les apories post-modernes. Le droit à la ville revendique un droit à l’espace tandis que le repli post- moderne le peuple de signes nostalgiques refermant ainsi les murs de la ville. La primauté de l’espace signifie qu’il ne faut plus enseigner aux étudiants que le projet se fait de l’intérieur vers l’extérieur (du local vers le global) mais au contraire, que l’extérieur est un intérieur. Affirmer la prévalence de l’espace signifie pour les architectes donner une épaisseur 8. C’est une des ambitions de l’axe sud que de constituer un espace public majeur de la ville centre propre à la rattacher à son territoire. l’espace contre le réseau 101 au réseau en affirmant clairement la continuité et la hiérarchie de l’es pace public, et offrir ainsi des perspectives de qualification urbaine aux agglomérations dispersées. Territorialisation des villes, interaction des échelles. La métropole unit la ville et sa campagne, l’intérieur et l’extérieur. Elle contient et englobe les limites anciennes que chacun franchit chaque jour plusieurs fois. La ville d’aujourd’hui est territoire, forcément hybride là où espaces urbains et naturels sont mutuellement visibles, ouverts les uns aux autres, et unis. La territorialisation des villes accompagne la déterritorialisation engen drée par les réseaux. Le réseau n’abolit l’espace que dans la mesure où lui- même s’étend à tout l’espace, redonnant ainsi un sens au local, lieu d’accès au réseau. En se territorialisant la ville se complexifie. Elle englobe plus d’hé térogénéité. Alors que les logiques de marché et de réseau font disparaître et replient sur eux-mêmes échelles, espaces et lieux, l’émergence simultanée d’une ville territorialisée, voire d’une ville-globale et de nouveaux réseaux de villes (cf. les métropoles du grand ouest accrochées à l’Île-de-France ou à l’arc ouest européen), stimule la diversité des échelles. Le projet métropolitain consiste dans la mise en interaction de ces échelles, celle notamment des réseaux au travers d’un espace public continu: développement des gares, intégration et mise en scène du TGV dans la ville, développement des noeuds autoroutiers et des centres commerciaux qui s’y accrochent en les raccordant aux échelles urbaines, intégration de ces infrastruc tures dans le tissu urbain courant… Le projet métropolitain part du territoire. Il renverse le développement radioconcentrique, structurant le développement à partir de la périphérie vers le centre8 rendu plus accessible perméable et ouvert. Le projet métropolitain ouvre de multiples perspectives: — consolidation de l’aire urbanisée, notamment des petites communes, parallèlement au renouvellement et à la densification urbaine de l’aire agglomérée, 102 La ville qui s’invente — création et urbanisation de relations maillées des communes métropolitaines entre elles, réalisation d’infrastructures intra-métropolitaines, espaces publics des grandes voies intégrant transports lourds, équipements et monuments métropolitains, — valorisation de la continuité des «entre-villes», — traitement des ruptures de charges entre les modes de transport et urbanisation des pôles d’échange, — expression typologique du rapport nouveau qui s’établit entre ville et nature. Valorisation et continuité des «entre-villes». De lar ges intervalles séparent les aires agglomérées des métropoles: «entre-villes», espaces agricoles englobés, délaissés souvent occupés par des infrastructu res difficilement franchissables et constituant de vastes secteurs enclavés. Loisirs, sports, santé ont développé l’hygiénisme moderniste à un niveau inattendu et sont la source d’immenses équipements métropolitains accro chés à ces secteurs. Ces «entre–villes» communiquent directement avec la campagne. Elles sont la promesse de nouvelles relations de continuité de la |
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