Le rôle des sciences sociales dans les relations Est-Ouest







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III. Les sciences sociales dans les échanges Est-Ouest


La priorité de la Fondation Ford en Europe était avant tout de construire une communauté politique et intellectuelle Euro-Atlantique forte, une fois assuré le redressement économique opéré grâce au Plan Marshall. Shepard Stone, le patron de la division internationale de la fondation, caressa d’ailleurs le projet de bâtir une fondation spécifiquement tournée vers cet objectif mais le projet n’aboutit pas20. Toutefois, cette orientation privilégiée n’excluait pas, loin s’en faut, l’Autre Europe. Mais pour qu’une action fut envisageable en direction de cette autre partie du continent, il fallait que le réseau serré du renseignement, de la propagande et de l’idéologie qui rendait impénétrable le rideau de fer se desserre quelque peu. Sur ce point, l’année 1956 est, on le sait, une année tournant : elle commence avec le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline et se conclut avec la révolution anti-totalitaire hongroise. Sans doute le soulèvement hongrois fut-il lourdement réprimé. Mais il marquait cependant un tournant historique : la fin sur le continent européen du volontarisme radical porté par le bolchevisme russe. Même si l’URSS l’avait emporté militairement dans le Centre Europe, elle devait désormais trouver des accommodements politiques avec les sociétés qu’elle soumettait. La combinaison des révélations de Khrouchtchev et de la répression en Hongrie portait un coup fatal au compagnonnage de route triomphant. Dès lors, l’entreprise stalinienne perdait sa « sombre et farouche grandeur »21 aux yeux de nombreux intellectuels. La voie était ouverte pour de nouvelles initiatives.

Une des premières manifestations incorporant la dimension comparative Est-Ouest fut le séminaire organisé par Daniel Bell à Vienne, en septembre 1958, sur la participation des travailleurs à l’entreprise (ce séminaire faisait partie d’un programme mis sur pied par le Congrès pour la Liberté de la Culture et financé par la Fondation Ford). Comme Hambourg, comme Milan, Vienne repose sur un axe américano-britannique fort. Côté américain, Daniel Bell venait de publier un livre sur le travail industriel22. Côté anglais, Hugh Clegg était l’auteur d’un livre sur nationalisation et démocratie industrielle issu d’un groupe de travail de la Société Fabienne23. Pendant une semaine, les participants au séminaire devaient examiner l’ensemble des expériences alors connues entre le pôle américain et le pôle britannique : codétermination en Allemagne et en Autriche ; consultation en Suède ; conseils ouvriers en Yougoslavie ; coopératives ouvrières en France ; innovations institutionnelles des grands industriels libéraux en France et en Italie. Tous les modèles de démocratie industrielle furent passés au crible : joint consultation, codétermination, conseils de travailleurs, négociations collectives, autogestion. La Yougoslavie joue dans ce contexte un rôle stratégique : pays communiste mais non aligné il se prête, avec son système d’autogestion, à une confrontation désidéologisée orientée vers la résolution de problème. Mais la réunion de Vienne s’attache également à l’examen de l’expérience des conseils ouvriers créés en Pologne à la fin de l’année 1955 et au début de 1956. On soulignera enfin que l’étude des problèmes de démocratie industrielle ne prend plus place en référence à la seule histoire du mouvement ouvrier et du socialisme mais s’inscrit désormais dans l’approche socio-politique des relations entre gouvernants et gouvernés dans l’univers industriel.

C’est à partir de la décennie 1960 que l’on peut tenter d’appréhender l’évolution de la situation en référence aux deux dimensions pertinentes de la classification proposée par Alexander Kenan, l’utilisation des canaux de communication au-dessus des frontières et l’apport de nouvelles idées et de cadres conceptuels. Faute de données précises on ne pourra que donner ici quelques indications générales fragmentaires.

1) Il n’existe pas dans les sciences sociales de relations institutionnalisées avec les Académies des Sciences comme il en existe pour les sciences de la nature à travers la Conférence Pugwash. Les relations personnelles n’en sont que plus importantes : trouver des partenaires authentiques et non des bureaucrates de la science organisée était le point clef de toute politique d’échange (bourse ou invitation à des colloques).

2) Il n’existe pas, à notre connaissance, de joint project réunissant social scientist de l’Ouest et de l’Est, sauf peut-être dans le domaine de la sociologie rurale dans une perspective de développement en Yougoslavie.

3) L’ouverture à l’analyse empirique des sociétés sous contrôle soviétique était limitée à un certain nombre de secteurs bien délimités : mobilité sociale, sociologie urbaine, utilisation du Temps libre. En aucun cas, les recherches ne peuvent déborder sur l’analyse du fonctionnement du système politique.

4) Si les premières analyses de fonctionnement du système de pouvoir communiste sont d’abord entreprises, aux États-Unis, dans des structures dépendant de l’armée (Rand Corporation par exemple), la Fondation Ford va appuyer des centres universitaires d’excellence (à Harvard, Colombia, Oxford) étudiant le fonctionnement du système de pouvoir dans ses rapports avec la société. Ces analyses échappaient aux échanges académiques ordinaires mais elles étaient connues des cercles intellectuels indépendants et des Haut Nomemklaturistes.

5) D’une manière générale, on peut dire que l’ouverture aux sciences sociales était d’autant plus grande qu’il existait dans le pays concerné un mouvement intellectuel et politique révisionniste cherchant à desserrer l’étau politique et idéologique soviétique. Cela concerne, au premier chef, les trois pays du Centre Est européen : Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne. À cet égard, la décennie 1960 représente un âge d’or des sciences sociales qui s’inscrivent parfaitement dans la détente des rapports Est-Ouest. Un bon indicateur de ce climat général est la brochure que l’OCDE publie en 196624. Les sciences sociales sont clairement inscrites dans une vision planificatrice entre tradition et improvisation. Le rapport précisait plusieurs fonctions que pourraient remplir les sciences sociales : changer le comportement des hommes et le cadre des institutions ; contribuer à la démystification et à la formation de la conscience sociale ; créer les bases scientifiques d’un contrôle plus grand des processus sociaux ; introduire plus de cohérence et de rationalité dans l’action collective. Rien, dans ces propositions, ne pouvait choquer un marxiste d’Europe Centrale désireux de secouer le joug de l’idéologie marxiste-léniniste (c’est-à-dire lénino-stalinienne). À sa manière, le rapport de l’OCDE témoignait d’une fertilisation croisée entre courants intellectuels venus des États-Unis et courants européens.
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