De la démocratie en amérique II







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Alexis de Tocqueville (1840)


DE LA DÉMOCRATIE
EN AMÉRIQUE II


Troisième et quatrième parties


Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Courriel: mailto:jmt_sociologue@videotron.ca

Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"

Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm




Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :


De Tocqueville, Alexis (1805-1859)
De la démocratie en Amérique II (1840)
Troisième et quatrième parties.

Une édition électronique réalisée à partir de la 13e édition parue du vivant d’Alexis de Tocqueville du livre d’Alexis de Tocqueville (1840), Démocratie en Amérique II.
Polices de caractères utilisée :
Pour le texte: Times, 12 points.

Pour les citations : Times 10 points.

Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.


Une édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh

le 21 février 2002.
Mise en page sur papier format

LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)



Table des matières

DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE II
(voir le fichier précédent pour les parties I et II du tome II)
Première partie: Influence de la démocratie sur le mouvement intellectuel aux États-Unis
Chapitre I: De la méthode philosophique des Américains

Chapitre II: De la source principale des croyances chez les peuples démocratiques

Chapitre III: Pourquoi les Américains montrent plus d'aptitude et de goût pour les idées générales que leurs pères les Anglais

Chapitre IV: Pourquoi les Américains n'ont jamais été aussi passionnés que les Français pour les idées générales en matière politique

Chapitre V: Comment, aux États-Unis, la religion sait se servir des instincts démocratiques

Chapitre VI: Du progrès du catholicisme aux États-Unis

Chapitre VII: Ce qui fait pencher l'esprit des peuples démocratiques vers le panthéisme

Chapitre VIII: Comment l'égalité suggère aux Américains l'idée de la perfectibilité indéfinie de l'homme

Chapitre IX: Comment l'exemple des Américains ne prouve point qu'un peuple démocratique ne saurait avoir de l'aptitude et du goût pour les sciences, la littérature et les arts

Chapitre X: Pourquoi les Américains s'attachent plutôt à la pratique des sciences qu'à la théorie

Chapitre XI: Dans quel esprit les Américains cultivent les arts

Chapitre XII: Pourquoi les Américains élèvent en même temps de si petits et de si grands monuments

Chapitre XIII: Physionomie littéraire des siècles démocratiques

Chapitre XIV: De l'industrie littéraire

Chapitre XV: Pourquoi l'étude de la littérature grecque et latine est particulièrement utile dans les sociétés démocratiques

Chapitre XVI: Comment la démocratie américaine a modifié la langue anglaise

Chapitre XVII: De quelques sources de poésie chez les nations démocratiques

Chapitre XVIII: Pourquoi les écrivains et les orateurs américains sont souvent boursouflés

Chapitre XIX: Quelques observations sur le théâtre des peuples démocratiques

Chapitre XX: De quelques tendances particulières aux historiens dans les siècles démocratiques

Chapitre XXI: De l'éloquence parlementaire aux États-Unis
Deuxième partie: Influence de la démocratie sur les sentiments des Américains
Chapitre I: Pourquoi les peuples démocratiques montrent un amour plus ardent et plus durable pour l'égalité que pour la liberté

Chapitre II: De l'individualisme dans les pays démocratiques

Chapitre III: Comment l'individualisme est plus grand au sortir d'une révolution démocratique qu'à une autre époque

Chapitre IV: Comment les Américains combattent l'individualisme par des institutions libres

Chapitre V: De l'usage que les Américains font de l'association dans la vie civile

Chapitre VI: Du rapport des associations et des journaux

Chapitre VII: Rapports des associations civiles et des associations politiques

Chapitre VIII: Comment les Américains combattent l'individualisme par la doctrine de l'intérêt bien entendu

Chapitre IX: Comment les Américains appliquent la doctrine de l'intérêt bien entendu en matière de religion

Chapitre X: Du goût du bien-être matériel en Amérique

Chapitre XI: Des effets particuliers que produit l'amour des jouissances matérielles dans les siècles démocratiques

Chapitre XII: Pourquoi les Américains font voir un spiritualisme si exalté

Chapitre XIII: Pourquoi les Américains se montrent si inquiets au milieu de leur bien-être

Chapitre XIV : Comment le goût des jouissances matérielles s’unit, chez les Américains, à l'amour de la liberté et au soin des affaires publiques

Chapitre XV: Comment les croyances religieuses détournent de temps en temps l'âme des Américains vers les jouissances immatérielles

Chapitre XVI: Comment l'amour excessif du bien-être peut nuire au bien-être

Chapitre XVII: Comment dans les temps d'égalité et de doute il importe de reculer l'objet des actions humaines

Chapitre XVIII: Pourquoi chez les Américains toutes les professions honnêtes sont réputées honorables

Chapitre XIX: Ce qui fait pencher presque tous les Américains vers les professions industrielles

Chapitre XX: Comment l'aristocratie pourrait sortir de l'industrie

Troisième partie : Influence de la démocratie sur les mœurs proprement dites
Chapitre I: Comment les mœurs s'adoucissent à mesure que les conditions s'égalisent

Chapitre II: Comment la démocratie rend les rapports habituels des Américains plus simples et plus aisés

Chapitre III: Pourquoi les Américains ont si peu de susceptibilité dans leur pays et se montrent si susceptibles dans le nôtre

Chapitre IV: Conséquences des trois chapitres précédents

Chapitre V: Comment la démocratie modifie les rapports du serviteur et du maître

Chapitre VI: Comment les institutions et les mœurs démocratiques tendent à élever le prix et à raccourcir la durée des baux

Chapitre VII: Influence de la démocratie sur les salaires

Chapitre VIII: Influence de la démocratie sur la famille

Chapitre IX: Éducation des jeunes filles aux États-Unis

Chapitre X: Comment la jeune fille se retrouve sous les traits de l'épouse

Chapitre XI: Comment l'égalité des conditions contribue à maintenir les bonnes mœurs en Amérique

Chapitre XII: Comment les Américains comprennent l'égalité de l'homme et de la femme

Chapitre XIII: Comment l'égalité divise naturellement les Américains en une multitude de petites sociétés particulières

Chapitre XIV: Quelques réflexions sur les manières américaines

Chapitre XV: De la gravité des Américains et pourquoi elle ne les empêche pas de faire souvent des choses inconsidérées

Chapitre XVI: Pourquoi la vanité nationale des Américains est plus inquiète et plus querelleuse que celle des Anglais

Chapitre XVII: Comment l'aspect de la société, aux États-Unis, est tout à la fois agité et monotone

Chapitre XVIII: De l'honneur aux États-Unis et dans les sociétés démocratiques

Chapitre XIX: Pourquoi on trouve aux États-Unis tant d'ambitieux et si peu de grandes ambitions

Chapitre XX: De l'industrie des places chez certaines nations démocratiques

Chapitre XXI: Pourquoi les grandes révolutions deviendront rares

Chapitre XXII: Pourquoi les peuples démocratiques désirent naturellement la paix, et les armées démocratiques naturellement la guerre

Chapitre XXIII: Quelle est, dans les armées démocratiques, la classe la plus guerrière et la plus révolutionnaire

Chapitre XXIV: Ce qui rend les armées démocratiques plus faibles que les autres armées en entrant en campagne et plus redoutables quand la guerre se prolonge

Chapitre XXV: De la discipline dans les armées démocratiques

Chapitre XXVI: Quelques considérations sur la guerre dans les sociétés démocratiques

Quatrième partie: De l'influence qu'exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique
Chapitre I: L'égalité donne naturellement aux hommes le goût des institutions libres

Chapitre II: Que les idées des peuples démocratiques en matière de gouvernement sont naturellement favorables à la concentration des pouvoirs

Chapitre III: Que les sentiments des peuples démocratiques sont d'accord avec leurs idées pour les porter à concentrer le pouvoir

Chapitre IV: De quelques causes particulières et accidentelles qui achèvent de porter un peuple démocratique à centraliser le pouvoir ou qui l'en détournent

Chapitre V: Que parmi les nations européennes de nos jours le pouvoir souverain s'accroît, quoique les souverains soient moins stables

Chapitre VI: Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre

Chapitre VII: Suite des chapitres précédents

Chapitre VIII: Vue générale du sujet


De la Démocratie en Amérique II

Troisième partie
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

SUR LES MŒURS PROPREMENT DITES


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De la Démocratie en Amérique II

Troisième partie
CHAPITRE I
Comment les mœurs s'adoucissent
à mesure que les conditions
s'égalisent


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Nous apercevons, depuis plusieurs siècles, que les conditions s'égalisent, et nous découvrons en même temps que les mœurs s'adoucissent. Ces deux choses sont-elles seulement contemporaines, ou existe-t-il entre elles quelque lien secret, de telle sorte que l'une ne puisse avancer sans faire marcher l'autre ?
Il y a plusieurs causes qui peuvent concourir à rendre les mœurs d'un peuple moins rudes; mais, parmi toutes ces causes, la plus puissante me paraît être l'égalité des conditions. L'égalité des conditions et l'adoucissement des mœurs ne sont donc pas seulement à mes yeux des événements contemporains, ce sont encore des faits corré­latifs.
Lorsque les fabulistes veulent nous intéresser aux actions des animaux, ils don­nent à ceux-ci des idées et des passions humaines. Ainsi font les poètes quand ils parlent des génies et des anges. Il n'y a point de si profondes misères, ni de félicités si pures qui puissent arrêter notre esprit et saisir notre cœur, si on ne nous représente à nous-mêmes sous d'autres traits.
Ceci s'applique fort bien au sujet qui nous occupe présentement.
Lorsque tous les hommes sont rangés d'une manière irrévocable, suivant leur profession, leurs biens et leur naissance, au sein d'une société aristocratique, les mem­bres de chaque classe, se considérant tous comme enfants de la même famille, éprou­vent les uns pour les autres une sympathie continuelle et active qui ne peut jamais se rencontrer au même degré parmi les citoyens d'une démocratie.
Mas il n'en est pas de même des différentes classes vis-à-vis les unes des autres.
Chez un peuple aristocratique, chaque caste a ses opinions, ses sentiments, ses droits, ses mœurs, son existence à part. Ainsi, les hommes qui la composent ne res­sem­blent point à tous les autres; ils n'ont point la même manière de penser ni de sentir, et c’est à peine s'ils croient faire partie de la même humanité.
Ils ne sauraient donc bien comprendre ce que les autres éprouvent, ni juger ceux-ci par eux-mêmes.
On les voit quelquefois pourtant se prêter avec ardeur un mutuel secours; mais cela n'est pas contraire à ce qui précède.
Ces mêmes institutions aristocratiques qui avaient rendu si différents les êtres d'une même espèce, les avaient cependant unis les uns aux autres par un lien politique fort étroit.
Quoique le serf ne s'intéressât pas naturellement au sort des nobles, il ne s'en croyait pas moins obligé de se dévouer pour celui d'entre eux qui était son chef; et, bien que le noble se crût d'une autre nature que les serfs, il jugeait néanmoins que son devoir et son honneur le contraignaient à défendre, au péril de sa propre vie, ceux qui vivaient sur ses domaines.
Il est évident que ces obligations mutuelles ne naissaient pas du droit naturel, mais du droit politique, et que la société obtenait plus que l'humanité seule n'eût pu faire. Ce n'était point à l'homme qu'on se croyait tenu de prêter appui; c'était au vassal ou au seigneur. Les institutions féodales rendaient très sensible aux maux de certains hom­mes, non point aux misères de l'espèce humaine. Elles donnaient de la générosité aux mœurs plutôt que de la douceur, et, bien qu'elles suggérassent de grands dévoue­ments, elles ne faisaient pas naître de véritables sympathies; car il n'y a de sympathies réelles qu'entre gens semblables; et, dans les siècles aristocratiques, on ne voit ses semblables que dans les membres de sa caste.
Lorsque les chroniqueurs du Moyen Âge, qui tous, par leur naissance ou leurs habitudes, appartenaient à l'aristocratie, rapportent la fin tragique d'un noble, ce sont des douleurs infinies; tandis qu'ils racontent tout ne haleine et sans sourciller le massacre et les tortures des gens du peuple.
Ce n'est point que ces écrivains éprouvassent une haine habituelle ou un mépris systématique pour le peuple. La guerre entre les diverses classes de l'État n'était point encore déclarée. Ils obéissaient à un instinct plutôt qu'à une passion; comme ils ne se formaient pas une idée nette des souffrances du pauvre, ils s'intéressaient faiblement à son sort.
Il en était ainsi des hommes du peuple, dès que le lien féodal venait à se briser. Ces mêmes siècles qui ont vu tant de dévouements héroïques de la part des vassaux pour leurs seigneurs, ont été témoins de cruautés inouïes exercées de temps en temps par les basses classes sur les hautes.
Il ne faut pas croire que cette insensibilité mutuelle tînt seulement au défaut d'ordre et de lumières; car on en retrouve la trace dans les siècles suivants, qui, tout en devenant réglés et éclairés, sont encore restés aristocratiques.
En l'année 1675, les basses classes de la Bretagne s'émurent à propos d'une nouvelle taxe. Ces mouvements tumultueux furent réprimes avec une atrocité sans exem­ple. Voici comment Mme de Sévigné, témoin de ces horreurs, en rend compte à sa fille:

Aux Rochers, 3 octobre 1675.

« Mon Dieu, ma fille, que votre lettre d'Aix est plaisante ! Au moins relisez vos lettres avant que de les envoyer. Laissez-vous surprendre à leur agrément et consolez-vous, par ce plaisir, de la peine que vous avez d'en tant écrire. Vous avez donc baisé toute la Provence ? Il n'y aurait pas satisfaction à baiser toute la Bretagne, à moins qu'on n'aimât à sentir le vin. Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? On a fait une taxe de cent mille écus, et si on ne trouve point cette somme dans vingt-quatre heures, elle sera doublée et exigible par les soldats. On a chassé et banni toute une grande rue, et défendu de recueillir les habitants sous peine de la vie; de sorte qu'on voyait tous ces misérables, femmes accouchées, vieillards, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher. Avant-hier on roua le violon qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré; il a été écartelé, et ses quatre quartiers exposés aux quatre coins de la ville. On a pris soixante bourgeois, et on commence demain à pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, et de ne point jeter de pierres dans leur jardin 1.
« Mme de Tarente était hier dans ses bois par un temps enchanté. Il n'est question ni de chambre ni de collation. Elle entre par la barrière et s'en retourne de même... »

Dans une autre lettre elle ajoute:
« Vous me parlez bien plaisamment de nos misères; nous ne sommes plus si roués; un en huit jours, pour entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me parait maintenant un rafraîchissement. J'ai une tout autre idée de la justice, depuis que je suis dans ce pays. Vos galériens me paraissent une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce (voir note: 5). »


On aurait tort de croire que Mme de Sévigné, qui traçait ces lignes, fût une créa­ture égoïste et barbare: elle aimait avec passion ses enfants et se montrait fort sensible aux chagrins de ses amis; et l'on aperçoit même, en la lisant, qu'elle traitait avec bonté et indulgence ses vassaux et ses serviteurs. Mais Mme de Sévigné ne concevait pas clairement ce que c'était que de souffrir quand on n'était pas gentilhomme.
De nos jours, l'homme le plus dur, écrivant à la personne la plus insensible, n'oserait se livrer de sang-froid au badinage cruel que je viens de reproduire, et, lors même que ses mœurs particulières lui permettraient de le faire, les mœurs générales de la nation le lui défendraient.
D'où vient cela ? Avons-nous plus de sensibilité que nos pères ? Je ne sais; mais, a coup sûr, notre sensibilité se porte sur plus d'objets.
Quand les rangs sont presque égaux chez un peuple, tous les hommes ayant à peu près la même manière de penser et de sentir, chacun d'eux peut juger en un moment des sensations de tous les autres: il jette un coup d’œil rapide sur lui-même; cela lui suffit. Il n'y a donc pas de misère qu'il ne conçoive sans peine, et dont un instinct secret ne lui découvre l'étendue. En vain s'agira-t-il d'étran­gers ou d'ennemis: l'imagi­na­tion le met aussitôt à leur place. Elle mêle quelque chose de personnel a sa pitié, et le fait souffrir lui-même tandis qu'on déchire le corps de son semblable.
Dans les siècles démocratiques, les hommes se dévouent rarement les uns pour les autres; mais ils montrent une compassion générale pour tous les membres de l'espèce humaine. On ne les voit point infliger de maux inutiles, et quand, sans se nuire beaucoup à eux-mêmes, ils peuvent soulager les douleurs d'autrui, ils prennent plaisir à le faire; ils ne sont pas désintéressés, mais ils sont doux.
Quoique les Américains aient pour ainsi dire réduit l'égoïsme en théorie sociale et philosophique, ils ne s'en montrent pas moins fort accessibles à la pitié.
Il n'y a point de pays où la justice criminelle soit administrée avec plus de béni­gnité qu'aux États-Unis. Tandis que les Anglais semblent vouloir conserver précieuse­ment dans leur législation pénale les traces sanglantes du Moyen Âge, les Américains ont presque fait disparaître la peine de mort de leurs codes.
L'Amérique du Nord est, je pense, la seule contrée sur la terre où, depuis cinquan­te ans, on n'ait point arraché la vie à un seul citoyen pour délits politiques.
Ce qui achève de prouver que cette singulière douceur des Américains. Vient principalement de leur état social, c’est la manière dont ils traitent leurs esclaves.
Peut-être n'existe-t-il pas, à tout prendre, de colonie européenne dans le Nouveau Monde où la condition physique des Noirs soit moins dure qu'aux États-Unis. Cepen­dant les esclaves y éprouvent encore d'affreuses misères et sont sans cesse exposés à des punitions très cruelles.
Il est facile de découvrir que le sort de ces infortunés inspire peu de pitié à leurs maîtres, et qu'ils voient dans l'esclavage non seulement un fait dont ils profitent, mais encore un mal qui ne les touche guère. Ainsi, le même homme qui est plein d'huma­nité pour ses semblables quand ceux-ci sont en même temps ses égaux, devient insensible à leurs douleurs dès que l'égalité cesse.
C'est donc à cette égalité qu'il faut attribuer sa douceur, plus encore qu'à la civili­sation et aux lumières.
Ce que je viens de dire des individus s'applique jusqu'à un certain point aux peu­ples.
Lorsque chaque nation a ses opinions, ses croyances, ses lois, ses usages à part, elle se considère comme formant à elle seule l'humanité tout entière, et ne se sent touchée que de ses propres douleurs. Si la guerre vient a s'allumer entre deux peuples disposés de cette manière, elle ne saurait manquer de se faire avec barbarie.
Au temps de leurs plus grandes lumières, les Romains égorgeaient les généraux ennemis, après les avoir traînés en triomphe derrière un char, et livraient les pri­sonniers aux bêtes pour l'amusement du peuple. Cicéron, qui pousse de si grands gémissements, à l'idée d'un citoyen mis en croix, ne trouve rien à redire à ces atroces abus de la victoire. Il est évident qu'à ses yeux un étranger n'est point de la même espèce humaine qu'un Romain.
À mesure, au contraire, que les peuples deviennent plus semblables les uns aux autres, ils se montrent réciproquement plus compatissants pour leurs misères, et le droit des gens s'adoucir.

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Troisième partie
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