Essai d’une théorie des contraires







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Gabriel TARDE (1897)
L’opposition universelle.

Essai d’une théorie des contraires
Un document produit en version numérique par Mme Diane Brunet,

collaboratrice bénévole

Courriel: mailto:brunet.diane@videotron.ca
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"
dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm



Un document produit bénévolement en version numérique par ma conjointe, Diane Brunet, entre ses cours en histoire de l’art à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Courriel: mailto:brunet.diane@videotron.ca
à partir de :

Gabriel Tarde (1897)
L’opposition universelle

Une édition électronique réalisée du livre publié en 1897, L’opposition universelle. Paris : Félix Alcan, 1897.

Polices de caractères utilisée :
Pour le texte: Times, 12 points.

Pour les citations : Times 10 points.

Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format

LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)
Édition complétée le 25 mars 2002 à Chicoutimi, Québec.
La longue et pénible vérification du texte en OCR a été assurée par ma conjointe, Diane Brunet. Imaginez le travail fastidieux ! Aucun des accents n’avait été reconnu dans la reconnaissance de caractères de ce livre. J’étais incapable de faire ce travail.



Table des matières


L'opposition universelle.

Essai d'une théorie des contraires Gabriel Tarde

AVANT-PROPOS par Gabriel Tarde
CHAPITRE I. - L'Idée d'opposition
Sujet négligé par tous les logiciens, sauf Aristote. Ses idées à cet égard. – Défini­tions. - Origine dynamique des oppositions, même statiques. - Nécessité d'un état zéro, intermédiaire entre les extrêmes. Exemples.
CHAPITRE II. - Classification des oppositions
Symétries, rythmes, luttes. Au point de vue de la forme, opposition rayon­nante ou linéaire. Rayonnante : centripète ou centrifuge. Linéaire : polarité. Polarités physi­ques, vivantes, mentales, sociales. - Au point de vue de la ma­tiè­re, oppositions quali­tatives (ou de série), et quantitatives. Celles-ci, subdivi­sées : de degré ou de sens, c­es dernières, subdivisées: mécaniques ou logi­ques. -Pourquoi il n'y a ni anti-volume, ni anti-durée, ni anti-conscience, etc.
CHAPITRE III. - Oppositions mathématiques et physiques
Oppositions mathématiques. Les dix prétendues oppositions des pythago­riciens. Les mathématiques sont l'univers vu sous son aspect répétition et opposition. Les opérations sur les nombres ou les rapports des nombres sont le schéma des relations observées entre individus vivants. En quel sens addition et soustraction, multiplica­tion et division s'opposent. Ambiguïté vague, sous fausse précision, des notations mathématiques. Quantités positives et négati­ves. Quantités imaginaires conçues pour répondre à un « vœu de symétrie ». Applications grandissantes de l'arithmétique sociale.
Opposition physiques. Loi de la réaction égale à l'action. Exemples inver­ses, attractions et explosions. Cournot à ce sujet. Applications de cette loi aux actions simultanées et aux actions successives. Tendances d'un groupe de corps et d'un grou­pe d'idées a former système : son explication.
Oppositions en apparence simultanées, résolues en oppositions rythmiques (dans le monde vivant et social aussi bien que physique). Rôle physique im­men­se de l'opposition rythmique. Son rôle. Le frottement. - Irréversibilité des changements physi­ques. En tout ordre de faits, supériorité de l'irréversible sur le réversible. - Défaut de symétrie entre évolution et dissolution, et supériorité de la première : caractéristique de notre univers. Hypothèse d'un univers in­ver­se. - Le choc, choc physique, biologique, social. Son rôle surfait.
CHAPITRE IV. - Oppositions vivantes
Oppositions imaginaires entre vie végétale et vie animale. Entre les deux sexes: Anabolisme et Catabolisme. La fécondation. L'amour selon Schopen­hauer. L'homéo­pathie. - Nutrition et reproduction, Geddes et Thompson.
CHAPITRE V. - Les symétries de la vie
Insuffisance des explications données de la symétrie vivante. - Substitu­tion d'une dissymétrie artificielle et sociale des organes à leur symétrie natu­relle. Bichat et Spencer. Tendance de la vie à la symétrie des formes dans l'indi­vidu, et des variétés inverses dans l'espèce. - Pourquoi ? Parce qu'elle vise à tout posséder ou à posséder tota­le­ment quelque chose. Analogies socia­les. Passion des ambitieux et des méta­physiciens pour la coordination symétri­que. Passage de la symétrie sphérique à la radiaire et à la bilatérale. Pourquoi la mort est inévitable. Symétries cristallines, astro­no­miques, organiques, so­cia­les, susceptibles d'une commune explication. M. Berthe­lot sur Mallart. Pasteur et la dissymétrie moléculaire. - Dissymétrie de la forme générale de l'Univers étoilé.
CHAPITRE VI. - Oppositions psychologiques
I. Coup d'œil général sur le monde mental. La croyance et le désir ; les sensa­tions. L'âme pure et l'âme appliquée. Apparitions et réapparitions. L'at­ten­tion, la question, le jugement, la passion. - II. Oppositions de séries (quali­ta­tives). Phrase musicale et phrase picturale élémentaire ; l'une et l'autre vont se dissymétrisant. Substitution esthétique de la symétrie jugée à la symétrie sentie. Musique entendue au rebours. Ritournelles de saveurs et d'odeurs. - La dissolution de la mémoire est-elle inverse de sa formation ? Ribot.- III et IV. Oppositions de degré (quantitatives simples). Y a-t-il d'autres quantités psy­cho­lo­giques que la croyance et de le désir? Non. L'intensité des sensations. Leur étendue. L'espace et le temps, les matières et les forces, conçus comme la projection de nos deux quantités internes. V. Oppositions de sens (quantitatives dynamiques). Réductibles à celles de l'affirmer et du nier, du désirer et du repousser. Preuve par revue des couples de con­trai­res apparents. Dans le champ des sensations d'abord: Hyperesthésie et hypoe­sthésie. Le froid et le chaud. Le blanc et le noir. Achromatopsie. Cou­leurs complé­men­taires. Transfert et polarisation psychique. - VI (suite). Con­tri­bution remarquable des contraires olfactifs a la formation des idées reli­gieuses : le sale et le propre, d'où le pur et l'impur. Profondeur et fécondité de cette distinction. - VII. En second lieu, les sentiments et leurs contrastes. Évo­lution d'où naît l'émotion. Sa définition. - VIII (suite). Analogies entre le senti­ment et l'instinct. Leur commune classification. Senti­ments-croyances et sentiments-désirs ; instincts-désirs et instincts-croyances. Leur double forme positive et négative, impulsive et inhibitive. Origine principalement sociale des sentiments. - IX (suite). Examen des contrastes de sentiments-croyances. Orgueil et humilité. Orgueils collectifs, mais non humilités collectives : pour­quoi ? Espérance et découragement. Admiration et mépris. Le beau et le laid. L'esthétique du laid. Le sublime et le grotesque. - X (suite). Examen des con­trastes des sentiments-désirs. La peur et la colère. Les œuvres sociales de la peur et celles de la colère. La gratitude et la vengeance. La bienveillance et l'envie. L'affection et la haine. L'amour et la pudeur. Éros et Antéros. - XI (suite). La joie et la tristesse. L'in­ver­sion des sentiments ne correspond pas à celle des effets physiologiques conco­mitants. Y a-t-il des états neutres, ni agré­ables ni pénibles ? Évolution de la joie au cours de la civilisation. Sa culture esthétique. Le plaisir de la douleur et la douleur du plaisir. Sens divers de ces expressions. Plaisirs de plaisir et douleurs de douleur. Impor­tance so­ciale de ces combinaisons. Succession des joies et des tristesses, d'abord liée au rythme astronomique, puis affranchie et irrégulière. - XII (suite). Senti­ments religieux. La peur et l'amour. Les ascètes et les mystiques. - Conclusion et objection résolue.

XIII. En troisième lieu, oppositions entre jugements et oppositions entre desseins. Volonté et nolonté. Jugements et desseins a priori. - XIV. Classifi­ca­tion des types psychiques, c'est-à-dire des natures d'esprit et des caractères. La manière de croire et la manière de désirer. Les vocations et les talents. - Les excités et les déprimés. - Caractères nationaux. - XV. Oppositions de no­tions. Antinomies de Kant. Le sujet et l'objet. Principes d'identité et de contra­diction, de causalité et de finalité. L'infini et l'infinitésimal. Conversion des oppositions finies en oppositions infinitistes, et discussion de la légitimité de ces dernières.
CHAPITRE VII. - Oppositions sociales
I. Oppositions de séries. Le réversible et l'irréversible socialement. L'irré­versible, d'abord la série des connaissances scientifiques, est ce qu'il y a de plus important. L'ordre alphabétique des lettres. L'ordre grammatical des mots en français et en alle­mand. L'inversion linguistique. - II. Le dépérissement et la mort des langues, des religions, des constitutions, des arts, ne sont pas l'in­ver­se de leur naissance et de leur croissance. - Déplacements lents de l'accent en fait de dogmes religieux, d'idées politiques, d'institutions sociales, et irré­versibilité de ces déplacements. - III. Irréver­sibilité des transformations éco­no­miques. Leur formule approximative. - IV. Leur cause vraie : l'ordre d'appa­rition des inventions et découvertes à la fois acciden­tel et rationnel. Lois de leur propagation imitative. - V. Subordination de l'ordre au progrès, de l'opposition à la variation. Discussion d'une idée de Stuart Mill. Le rôle des grands hommes. Pourquoi il ne s'amoindrit pas à mesure que la société pro­gresse. - Change­ments circulaires ou trajectoires hyperboliques des sociétés ; sept hypothè­ses possi­bles. VI. Oppositions de degré. Les quantités sociales, distinctes des quanti­tés psy­cho­­lo­giques. Pourraient exister, même à défaut de celles-ci. Elles suppo­sent simple­ment un nombre donné de similitudes imitatives, spirituelles, fussent-elles simple­ment qualitatives, entre individus. - VII. Deux quantités sociales fondamen­tales : la vérité et la valeur, la crédibilité générale des idées et la désirabilité générale des produits. Pourquoi il n'y a pas d'équivalent de la monnaie pour la première. Mais la statistique doit mesurer les deux, et c'est sa mission propre. Lacunes de la statistique à combler. VIII. Accroissements et décroissements des quantités sociales : sont-ils symétriques ? Non. Leur progression est la règle, leur régression l'accident. Importance de cette thèse. Ses preuves statistiques. - IX. La question des machines. Tendance normale des salaires à progresser, du taux de l'intérêt à s'abaisser : Paul Leroy-Beaulieu. L'opulence et l'indigence. Obsession fatale, ici, de l'idée de symétrie. X. Oppositions de sens (dynamiques). Conception gnostique de l'histoire, duel de la matière et de l'esprit. Sociologie latente des grands révolutionnaires. Darwinisme et militarisme redouble. La lutte divinisée, les apologistes de la concurrence et de la guerre. Importance des innombrables conflits tout inté­rieurs, supérieure à celle des conflits d'homme à homme. Est-il vrai que le progrès, en tout ordre de faits sociaux, soit dû à ces derniers ? Stérilité relative des discussions. Le progrès militaire lui-mê­me n'est pas né de la guerre, mais de l'invention pacifique. - XI. La concurrence. Erreur de Bastiat. Lange. Grève et concurrence. Les Trade-Unions. Bienfaits de l'alli­an­ce faussement attribués à la lutte. Concurrence et convivance. L'ordre juridique, terme idéal de la li­ber­té économique. Les fonctions publiques, comme les métiers, qui tendent à devenir fonctions publiques à leur tour, ont commencé elles-mêmes par un état d'anarchique concurrence. - Les crises commerciales et financières. - XII. La guerre, confluent et consommation de toutes les oppositions sociales pous­sées à bout et s'exprimant par toutes les oppositions physiques. À quelles condi­tions elle éclate : conversion des conflits d'individus en conflits de masses. Rôle de la Presse. S'ensuit-il nécessité permanente des guerres ? On se bat parce qu'on s'est battu. Absurdité croissante des guerres grandissantes. Trois thèses possibles. N'y avait-il pas d'autre école du devoir et du dévoue­ment ? Hypothèse du cours de l'histoire sans batailles ; de l'histoire naturelle même, sans meurtre animal. Déviation homicide de la Vie. Sympathie univer­selle et universelle ambition: antinomie. - XIII. Carrefour où s'est trouvée l'Humanité naissante : la voie belliqueuse et la voie religieuse. Compromis funestes. Liaison entre l'idée de l'organisme social et celle du militarisme salu­taire. Ce n'est pas la guerre qui agrandit le champ social. Son œuvre est non pas la paix humaine, mais l'équilibre européen. - XIV. La paix armée des clas­ses et des nations. Recul possible de la civilisation. L'évolution de la guerre; son irréversibilité. - XV. Évolution de la justice et de la morale. Conclusion.

CHAPITRE VIII. - L'opposition et l'adaptation
I. Ambiguïté du mot correspondance ; dans un sens, adaptation; dans l'autre, opposition. Rapport de ces deux termes. Passage de l'un à l'autre. Ex­em­ples emprun­tés à la biologie et à l'économie politique. Importance des différents inutilisés. L'amour de la liberté et l'amour de la nature. - II. La symé­trie par à-peu-près, source d'harmonies approximatives. Les deux sens du mot affaires. Autres exemples, em­prun­tés au mobilier, d'oppositions transfor­mées en adaptations par le progrès de la sympathie imitative. - III. Le problè­me religieux. Guyau et l'Irréligion de l'avenir. L'âme religieuse réclame la solidité des convictions plutôt que la beauté des conceptions. Culte des morts. Ce qui pourra émerger de la religion par-dessus le déluge scientifique.

Gabriel Tarde
L'opposition universelle

Essai d'une théorie
des contraires


1re édition : Paris, Alcan, 1897.)

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AVANT-PROPOS
Par Gabriel Tarde

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Tout ce que je souhaite, sans oser l'espérer, en publiant ce livre, c'est que le lecteur trouve à le lire autant de plaisir que j'en ai eu à le composer. Ce n'est pas que je m'aveugle sur ses imperfections et ses lacunes ; j'en ai même con­science à tel point que je me propose de revenir plus tard sur cette ébauche pour la compléter et la corriger. Mais ce sujet m'a plu, d'abord super­fi­cielle­ment, puis avec une sorte d'intérêt passionné. En commençant, je n'y avais vu que la joie intellectuelle d'échapper à des problèmes habituels d'ordre social, c'est-à-dire douloureux, par une étude qui, d'ailleurs, se reliait intime­ment à mes travaux antérieurs, par une promenade d'esprit à travers le monde, avec une jumelle spéciale en mains qui me permettait de tout apercevoir sous un angle aussi précis que varié, sous un point de vue d'une universalité étran­ge. Et je confesse m'être laisse aller quelque temps à ce charme facile et déce­vant de collectionner des antithèses, d'herboriser des contrastes, de regarder passer, à tous les étages superposés de la réalité physique, vivante, mentale, la pro­cession des couples enchaînés de contraires qui s'y déroule éternellement. Mais, à lui seul, ce genre d'attrait ne m'eût pas retenu longtemps : l'antithèse est un procédé de composition dont l'abus, chez un Hegel comme chez un Victor Hugo, m'a toujours gâté les plus merveilleuses beautés de conception ou de style. Et je n'aurais pas tardé à m'en dégoûter si, à mesure que j'avan­çais, un autre genre d'intérêt, plus puissant, plus poignant, ne fût venu se joindre et peu à peu se substituer au charme premier, me ramenant par un léger détour à mes préoccupations d'ordre social que j'avais eu l'illusion de croire écarter. Parmi les pentes irréversibles d'évolution dont je parle dans ce volume, il n'en est peut-être pas de plus impossible à remonter que celle qui a conduit un esprit philosophique de la curiosité des sciences naturelles à la passion des sciences sociales. Ainsi dois-je, en conscience, prévenir les géomètres et les naturalistes de ne pas trop se fier aux titres de quelques-uns de mes chapitres. Qu'il s'agisse d'oppositions mécaniques, Ou physiques, ou vivantes, ou même psychologiques, c'est toujours, au fond, la question sociale qui est en cause. Elle est l'âme, apparente ou cachée, de toutes ces études, où toutes les antinomies de la nature sont pour ainsi dire convoquées et rassem­blées pour résoudre ensemble l'éternel problème de la guerre, soit de la guerre sanglante, soit de la guerre atténuée et mitigée par la culture, mais toujours meurtrière et spoliatrice sous ses formes les plus adoucies.
Et c'est ainsi qu'un travail de philosophie générale, destiné à une sorte de délassement visuel de l'intelligence, se trouve être, à certains égards, - indi­rectement, il est vrai, et incidemment - une contribution au débat brûlant entre socialistes et économistes. Peut-être, en effet, pour bien comprendre la portée de cette querelle sans cesse renaissante, pour se rendre compte de la force contagieuse des uns malgré leurs chimères, de la faible résistance des autres malgré la solidité de leur savoir, convient-il de rattacher leur discorde à un problème plus général. Pourquoi, non seulement nos luttes, mais toutes les luttes de tous ordres ? Pourquoi partout ces conflits d'égoïsmes exaspérés ? Comment se fait-il qu'un monde, où se marquent d'ailleurs des traits indé­niables de sagesse et d'harmonie, comporte cet état d'anarchie organisée ? Est-ce que, vraiment, ce serait là une nécessité rationnelle et inévitable, une condi­tion salutaire et sine qua non de tout progrès naturel ou humain, comme l'af­fir­­ment tant d'apologistes de la concurrence vitale, de la concurrence écono­mique, du militarisme conquérant ? jusqu'ici, envisageant l'Univers au point de vue surtout de la Répétition de ses phénomènes, je n'avais point à me poser ces anxieuses interrogations, je pouvais oublier le fond tragique et antinomi­que des réalités. Qu'une harmonie, une fois créée, équilibre gravi­tatoire ou ondulatoire, planétaire ou moléculaire, type vivant, invention sociale, cherche à se répéter indéfiniment, à se multiplier et se propager par le rayonnement de sa propre image, rien de moins surprenant; rien de plus caractéristique des œuvres de l'amour que cette exubérante fécondité. Mais, à présent, comme complément et envers de ce spectacle, s'offrait à moi le tableau de ces contre-similitudes, de ces répétitions renversées, que toutes les catégories de faits présentent, longue avenue de sphinx, dont j'étais conduit à scruter l'énigme; et l'Univers, regardé au point de vue de l'Opposition de ses êtres et de ses forces, m'apparaissait sous un jour manichéen, sinon satanique et infernal. Était-ce donc la son aspect véritable et fondamental, sa façade principale, et le peu de bonté, d'amour, de solidarité fraternelle, qui se montre çà et là, ne serait-il né que de cette longue bataille même, de cette mêlée de haines, de rivalités, d'avidités ?
Voilà ce que j'ai cru devoir vérifier attentivement avant d'y croire; et il m'a semble que cette vérification, pour être solide, devait être complète ; que toutes les espèces et variétés d'inversions, de contrariétés, d'oppositions quel­con­ques, tous les rythmes, toutes les symétries, toutes les antinomies, toutes les luttes, à tous les degrés de la réalité, faisaient partie intégrante d'un même genre, et que le rôle de chacune d'elles n'est bien expliqué que par sa com­pa­raison avec toutes les autres. C'est là l'excuse de tant de rapprochements dont l'étrangeté pourra surprendre de prime abord. Ils n'auront pas été inutiles si l'on juge, à la fin, qu'ils ne sont pas sans jeter quelque jour sur la part qui revient dans nos progrès à nos contradictions de tout genre, à la concurrence, à la guerre, à la discussion même, sur l'erreur de ceux qui, exagérant l'impor­tance très réelle, mais secondaire et auxiliaire, de ces oppositions, les élèvent au rang de principes créateurs, et sur l'illusion, non moins grave, de leurs adversaires qui espèrent avoir trop facilement raison de faits aussi généraux, aussi universels. Par la faiblesse théorique de leur conception sociologique, les premiers, en dépit de leurs irréfutables objections de fait, font la force des seconds qui sont sûrs d'un écho dans les âmes en s'appuyant - théoriquement - sur les idées de sympathie, de paix, de solidarité, de fédération. Et il est certain que l'hymen seul est fécond, non le duel : et que, sans l'inventivité gé­nia­le, fille de l'accord des idées, sans l'imitativité sociale, fille de la sympathie innée des hommes, la mêlée sociale, certes, n'eût pas suffit à susciter le progrès humain.

Chapitre I
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