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Paul FARMER

Médecin et anthropologue, professeur en anthropologie médicale
à Harvard Medical School
(1996)

SIDA EN HAÏTI.
La victime accusée.
Traduction française de AIDS and Accusation, 1992

Par Corine Hewlett.
Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Courriel: jean-marie_tremblay@uqac.ca

Site web pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/
Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"

Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi
Site web: http://classiques.uqac.ca/
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/


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L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisateurs. C'est notre mission.
Jean-Marie Tremblay, sociologue

Fondateur et Président-directeur général,

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de :
Paul FARMER
SIDA EN HAÏTI. La victime accusée.
Préface de Françoise Héritier. Traduction française, par Corine Hewlett, du livre américain: AIDS and accusation, publié en 1992 par The University of California Press. Paris: Les Éditions Karthala, 1996, 414 pp. Collection: Médecines du monde.

[Autorisation formelle accordée le 20 décembre 2008 par l’auteur et la maison d’édition KARTHALA de Paris de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Polices de caractères utilisée :
Pour le texte: Times New Roman, 12 points.

Pour les citations : Times New Roman, 12 points.

Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.
Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)
Édition numérique réalisée le 10 janvier 2009 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec, Canada.


Paul FARMER

Médecin et anthropologue, professeur en anthropologie médicale
à Harvard Medical School
SIDA EN HAÏTI. La victime accusée.

Préface de Françoise Héritier. Traduction française, par Corine Hewlett, du livre américain: AIDS and accusation, publié en 1992 par The University of California Press. Paris: Les Éditions Karthala, 1996, 414 pp. Collection: Médecines du monde.





Nous voulons remercier la direction de la maison d’éditions parisienne, KARTHALA, de nous avoir donné son autorisation, conjointement avec celle de l’auteur, M. Paul FARMER, de diffuser le texte intégral de ce livre, SIDA EN HAÏTI. La victime accusée, dans Les Classiques des sciences sociales.
Merci de votre confiance en nous et longue vie aux Éditions Karthala.

Courriel  karthala@orange.fr
URL :
http://www.karthala.com/index.php
Merci,
Jean-Marie Tremblay, sociologue.

Fondateur et PDG, Les Classiques des sciences sociales.

10 janvier 2009.




Table des matières

Quatrième de couverture

Préface de Françoise Héritier

Avant-propos à l’édition française, Paul Farmer, 3 août 1996

Préface de l’auteur
Chapitre I. Introduction
Première partie

Des maux sans nombre
Chapitre II. Les réfugiés du barrage

Chapitre III. La vallée d’autrefois

Chapitre IV. L’atout Alexis, ou la reconquête de Kay

Chapitre V. La bataille de la santé

Chapitre VI. 1986 et après : bouleversements politiques et nouveaux discours
Deuxième partie

Un village haïtien frappé par le sida
Chapitre VII. Manno

Chapitre VIII. Anita

Chapitre IX. Dieudonné

Chapitre X. « Un endroit ravagé par le sida »
Troisième partie

Les discours et les faits : le vih en Haïti
Chapitre XI. Chronologie de l’épidémie en Haïti

Chapitre XII. Le vih en Haïti : les dimensions du problème

Chapitre XIII. Haïti et les « facteurs de risque admis »

Chapitre XIV. Le sida dans les Caraïbes : la pandémie de l’Atlantique ouest
Quatrième partie

Sida, histoire et économie politique
Chapitre XV. Haïti sous la domination européenne

Chapitre XVI. Le XIXe siècle : cent ans de solitude ?

Chapitre XVII. Les États-Unis et un peuple chargé d’histoire


Cinquième partie

Le sida et ses procès
Chapitre XVIII. Sida et sorcellerie : les accusations au sein du village

Chapitre XIX. Sida et racisme : les accusations venues du centre

Chapitre XX. Sida et impérialisme : les accusations venues de la périphérie

Chapitre XXI. La cause et les accusations

Chapitre XXII. Conclusion : Sida et anthropologie de la souffrance

Bibliographie

SIDA en Haïti. La victime accusée.
Quatrième de couverture

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Haïti et les Haïtiens ont été très tôt accusés de faire partie des responsables de l'épidémie de sida aux États-Unis. Cette accusation, issue des milieux scientifiques, a été accueillie comme une évidence que reflétait la désignation des quatre groupes, les « 4 H » : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, Haïtiens. Quels mécanismes ont conduit à cette stigmatisation d'un peuple et d'une société ? Paul Farmer les démonte en attaquant le problème sous plusieurs angles.

Des enquêtes minutieuses, menées dans un village haïtien, mettent à nu le cadre social de la contamination, ses effets sur la vie des personnes atteintes et sur leur communauté. L'analyse des relations entre ce village et la capitale montre comment les villageois sont pris clans un piège qui s'est formé en ville : l'étude des conduites des touristes américains avec les milieux défavorisés d'Haïti suit le cheminement du sida vers Haïti. Les rapports inégaux entre la ville et hi campagne conduisent ensuite le sida vers l'intérieur du pays. Un panorama précis de l'histoire des relations entre Haïti et les États-Unis reconstruit alors le cadre géopolitique et idéologique qui a conduit à représenter l'épidémie en renversant son sens,

Ainsi s'articulent la vie culturelle haïtienne, les inégalités économiques locales et internationales et les lignes de force de l'histoire : l'accusation ne vient pas d'une explication de la réalité niais d'une longue cascade de rapports inégalitaires. Le livre de Paul Farmer est le modèle d'une anthropologie interprétative appliquée aux problèmes de santé ; bien au-delà d'Haïti et du sida, sa démarche doit inspirer beaucoup de ceux qui affrontent des situations où santé, développement et politique sont inextricables.

Paul Farmer, médecin et anthropologue, est professeur en anthropologie médicale à Harvard Medical School. Ses activités associent la pratique clinique, à Boston et en Haïti, et la recherche en anthropologie médicale. Cette recherche accompagne et oriente son engagement dans une pratique globale de développement, soutenue par une solide infrastructure associative oeuvrant en Haïti. AIDS and Accusation, dont Sida en Haïti : la victime accusée est la traduction, illustre, sa démarche. Le milieu anthropologique et les spécialistes du développement ont salué la parution de l'ouvrage comme celle d'une œuvre exceptionnelle.

SIDA en Haïti. La victime accusée.
Préface
Par Françoise Héritier
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Le sida entra au village de Do Kay. C’était à Haïti en 1983 et Paul Farmer nous raconte cette histoire tragique, qu’il analyse comme un « fait social total » (même s’il n’utilise pas cette expression), celui de la logique de l’accusation.

Jusqu’à cette date et encore longtemps après, les cas de sida touchant des Haïtiens posaient problème au personnel médical et aux chercheurs car on ne retrouvait pas chez ces malades les critères habituels : ils n’étaient ni homosexuels, ni drogués, ni transfusés. Comme ils étaient non-typiques, on en fit un cas à part, le fameux quatrième H, comme Haïtien, des « groupes à risque » selon la terminologie de l’époque et de multiples théories tentèrent de justifier cette catégorisation. Toutes prennent source dans les zones sombres et émotionnelles de la superstition et du préjugé. En 1983, les Annals of Internal Medicine écrivent qu’il semble « raisonnable de considérer que les pratiques vaudou sont une des causes du syndrome », ces « noires saturnales » dont parlait Alfred Métraux, ce « bazar du bizarre » où se retrouvent pêle-mêle les morts-vivants, nécromanciens, cérémonies secrètes où l’on boit le sang au cou de l’animal.

Ces images fortes, préjudicielles, firent beaucoup de mal et sont loin d’être effacées par une approche scientifique nouvelle du sida, qui reconnaît la place de la transmission hétérosexuelle et materno-fœtale dans l’épidémie au même titre que les autres modes jusque-là recensés. La catégorisation des Haïtiens en groupe majeur à risque, pour des raisons en quelque sorte sui generis, en a fait des boucs émissaires, plaçant l’origine du mal en Haïti, ce mal qui aurait été ensuite diffusé vers les États-Unis.

À l’inverse, de façon officielle lors de rencontres scientifiques, médecins et chercheurs haïtiens attaquent l’attitude irrationnelle et raciste des épidémiologistes américains et renversent la proposition. Ils voient la contamination en Haïti comme provenant des États-Unis en raison des deux mouvements inverses de brassage des populations que sont la main-d’œuvre immigrée d’une part et le tourisme d’autre part.

C’est dans cette période critique, entre 1983 et 1990, que Paul Farmer réalise ses expériences de terrain à Do Kay (nom fictif, bien sûr), dans une zone rurale que l’épidémie va commencer à toucher, où le mot sida émerge à peine, même si le vih était déjà en place, faisant sournoisement son œuvre. En 1986, on en parle ouvertement ; en 1987, c’est le premier mort et un autre malade est connu dans cette communauté de mille habitants. En 1983, il n’y a aucune représentation collective de ce mal et Paul Farmer va suivre la naissance de cette représentation, en dévoiler les sources, les mécanismes et les logiques à travers les trois histoires émouvantes de Manno l’instituteur, Anita la pauvrette et Dieudonné.

Ne jamais oublier que Haïti est objectivement l’un des pays les plus pauvres du monde, ravagé par le duvaliérisme et subjectivement le pays des superlatifs négatifs dans l’opinion américaine : « Les Haïtiens sont les plus pauvres, les plus illettrés, les plus arriérés, les plus superstitieux ». Mais si la pauvreté est au rendez-vous à Do Kay, la résignation n’y est pas. Il faut toujours « comprendre » la cause du mal qui frappe, car à toute cause identifiée, il existe nécessairement une réponse. On verra ainsi Manno l’instituteur, représentant la raison et recourant au départ à la médecine biologique, s’en détourner pour avoir recours au houngan lorsqu’il admit comme cause de son mal la violence jalouse d’autrui.

La mise en évidence de cette genèse montre l’étroite symétrie des éléments qui entrent dans la constitution des deux logiques de l’accusation, américaine ou haïtienne, et comment ces logiques rendent compte toutes deux d’une même grande réalité objective : celle des liens économiques, politiques, personnels et affectifs qui unissent Haïti aux usa et qui font que « même un village aussi perdu que Do Kay est inscrit dans un réseau qui inclut Port-au-Prince et Brooklyn, vaudou et chimiothérapie, divination et sérologie, pauvreté et richesse ». L’épidémie n’aurait pas existé si Haïti n’était pas prise dans un immense réseau de relations tant économiques que sexuelles avec les usa. Pour preuve, la comparaison avec Cuba. En 1986, sur un million de tests on y trouve seulement un taux de séropositivité de 0,01 pour cent. À Haïti, en 1986 également, sur des groupes moindres de cinq cent deux mères, cent quatre-vingt-seize adultes hospitalisés et neuf cent douze adultes sains, on trouve respectivement des taux de douze, treize et neuf pour cent. Les chiffres sont éloquents.

Do Kay est un village du plateau central qui a tout connu des répercussions des coups d’État. De plus la construction d’un barrage a inondé les terres fertiles et obligé les habitants à immigrer sur les hauteurs où ils végètent dans l’extrême pauvreté, la malnutrition chronique et toutes les maladies associées : tuberculose, diarrhées, malaria, maladies infectieuses. Ces malheurs entraînent non une résignation passive même si les gens considèrent que la souffrance est la condition naturelle de l’homme, mais une recherche dynamique des causes externes du mal et des remèdes appropriés. Le destin est là cependant et l’individu a le choix entre « chercher la vie, détruire la vie » (chache la vi détri la vi).

Ces ingrédients des explications ordinaires du mal en soi, le sang gâté (mové san), ou du mal envoyé par jalousie sorcière vont être combinés progressivement avec les explications plus modernes de l’enchaînement du malheur et de la contamination par l’étranger pour établir un modèle explicatif où tout peut faire sens alternativement ou simultanément. Qu’il s’agisse de périodes dans l’évolution d’un cas ou d’une analyse globale, chacun des ordres d’explication peut intervenir à son tour.

Anita est un modèle du genre. Elle est une « victime », non de l’envie vu son extrême dénuement, mais d’un engrenage du destin qui l’a amenée à treize ans « à prendre le mal d’un homme à la ville ». C’est la pauvreté, due à l’inondation des terres, donc au barrage et à la modernité, qui a entraîné la tuberculose et la mort de la mère, le mové san de sa fille et son départ à Port-au-Prince où elle contracta le mal. À cette « innocente », qui pourrait donc vouloir envoyer le mal, pour quelles raisons ?

Manno, l’instituteur qui cherche éperdument la cause, a des éléments de réponse. Il a trois salaires, comme instituteur, comme gérant de la coopérative d’élevage de porcs, comme responsable de la gestion de la pompe électrique, ce qui serait à l’origine du mauvais sort que des envieux lui ont jeté. Pour les autres, son mal vient plutôt de ce qu’il a frappé durement un élève pauvre, ce qu’il n’aurait pas fait avec le fils d’un riche. Mais ces explications peuvent se cumuler. Après un traitement antituberculeux, il va mieux, mais comme on dit : une feuille ne pourrit pas dès qu’elle tombe à la rivière. Mais il avait aussi le mové san pour trois raisons possibles, contaminé par sa femme après la naissance d’un bébé, frappé par l’éclair quelques années plus tôt ou ayant eu le sang retourné lors de la colère qui lui avait fait frapper un enfant. Le destin, la faute, l’envie. Manno se confie progressivement aux soins des médecins traditionnels.

Dieudonné, lui, ne comprend pas pourquoi on impute au sida sa maigreur et sa faiblesse alors qu’il n’a aucun écart de vie. Il impute son état au mové san que créent en lui ces accusations immotivées.

Paul Farmer nous montre ainsi la genèse et l’évolution d’un modèle local d’interprétation du malheur. Il est bâti avec les matériaux que l’observation du réel fournit aux acteurs et que ceux-ci interprètent à travers les moyens d’analyse traditionnelle mais aussi moderne dont ils disposent. Ce modèle local recourt pour l’essentiel à une grille interprétative qui impute le mal à une cause étrangère, dans ce cas précis l’agression en sorcellerie. En fait, ce modèle « local » né de l’observation patiente d’une communauté ressortit à un modèle général qui fait large place à la recherche de la cause, aux soupçons de l’origine étrangère, à la théorie de l’agression. Cependant, Paul Farmer montre subtilement, au sein de cette géographie de l’accusation, la différence qui existe entre les trois réponses possibles à la question de l’origine du mal que sont la sorcellerie, la discrimination morale ou la conspiration. La sorcellerie est une violence symbolique qui traduit l’envie née de la disparité. Il ne faut pas avoir plus que les autres en n’importe quel domaine. Mais il n’y a pas classement entre des innocents et des coupables, alors que la discrimination morale au cœur du jugement porté globalement aux États-Unis sur les Haïtiens conduit à blâmer les victimes et à faire peser sur eux-mêmes le poids de l’accusation dans une double motivation : « infectés puisque exotiques et exotiques puisque infectés ». Dans ce livre magnifique, Paul Farmer nous fait faire un grand pas dans l’intelligence des mécanismes secrets, complexes et universels de la confection par l’homme des systèmes d’interprétation des malheurs qui le frappent.

Françoise Héritier


SIDA en Haïti. La victime accusée.
Avant-propos
à l’édition française
Par Paul Farmer, 3 août 1996


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C’est un plaisir et un honneur de voir AIDS and Accusation traduit en français. Si je peux me permettre cette réflexion, je dirai que cela vient à propos, et cela moins du fait de mérites intrinsèques que pourrait avoir ce livre qu’à cause de l’histoire qui y est racontée. Même si, comme le montre l’ouvrage, le destin d’Haïti et celui des États-Unis sont étroitement liés, il est indéniable que la création réelle d’Haïti s’inscrit dans l’histoire de France — une part dérangeante de cette histoire, peut-être, mais une part qui mérite d’être connue. On ne peut rien comprendre aux souffrances actuelles d’Haïti sans se référer à l’histoire de France. Comme l’écrivait en 1797 Moreau de Saint-Méry, l’un des principaux chroniqueurs de l’époque coloniale française, « la partie Française de l’île Saint-Domingue est, de toutes les possessions de la France dans le Nouveau-Monde, la plus importante par les richesses qu’elle procure à sa Métropole et par l’influence qu’elle a sur son agriculture et sur son commerce ». Saint-Domingue, qui grâce à l’esclavage a fourni à l’Europe jusqu’aux deux tiers de son café, de son sucre et de son rhum, était et reste le modèle de l’Haïti moderne.

La publication de cet ouvrage dans l’ancienne métropole d’Haïti est donc un fait heureux. Mais ceci est une chose ; le plaisir et l’honneur attachés à cette traduction ont d’autres motifs. Disons tout d’abord la satisfaction de l’auteur de savoir que son livre sera lu en Haïti. Sida en Haïti : la victime accusée ne sera certes pas lu par ceux dont il a tenté d’écrire l’histoire. Les villageois haïtiens ne parlent pas français ; la plupart d’entre eux ne lisent pas du tout. Mais j’ai l’espoir que certains de mes collègues et amis haïtiens pourront lire ce livre, qui tente d’exprimer la souffrance d’un peuple longtemps maintenu silencieux par des forces qui sont au-delà de son contrôle.

Ensuite, voir ce livre paraître en français est un signe qui vient à point affirmer mes liens académiques grandissants avec la France, où j’ai eu le plaisir de faire des études voilà de nombreuses années. Y revenir quinze ans plus tard comme enseignant a été un grand honneur. Je suis particulièrement reconnaissant de son appui à Françoise Héritier, ancien président du Conseil national du sida, car c’est sur son invitation que j’ai pu enseigner à l’École des hautes études en sciences sociales. Les discussions stimulantes avec Jean-Pierre Dozon, Didier Fassin, Francis Zimmermann, et surtout Catherine Benoît, ont rendu mon séjour stimulant et mémorable — même si, pendant les grèves de décembre 1995, peu d’étudiants ont assisté aux séminaires.

Je partage avec Alice Desclaux et Jean Benoist de l’amades tellement d’intérêts communs que je les considère comme des co-conspirateurs dans les efforts en vue d’élargir l’approche des questions médicales contemporaines, y compris celle du sida. Avec eux, je me propose de rapprocher certains courants français et américain de l’anthropologie médicale. Les médecins-anthropologues sont un très petit groupe ; nous devons lutter ensemble, et j’espère que nous aurons de nombreuses années de collaboration fructueuse.

Soulignons pour conclure que la traduction de ce livre n’aurait jamais été réalisée sans mon amie Christine Murray. Sœur adoptive française de ma période étudiante, elle dirige maintenant une petite organisation basée à Paris, et créée pour soutenir le travail médical et social décrit, sommairement, dans Sida en Haïti. Au cours des dernières années, Zanmi Lasanté-Paris a envoyé des fournitures médicales essentielles, des textes en français, et des fonds pour notre clinique, ici, dans le centre d’Haïti. C’est grâce à ce cercle d’amis — par le biais de Christine Murray et de Corinne Berthet — que le livre a trouvé une traductrice dévouée et compétente en la personne de Corinne Hewlett. C’est par Zanmi Lasanté-Paris que le livre a atteint Roger Ageneau des Éditions Karthala, source depuis longtemps de beaucoup de mes livres français favoris. Par les bons soins de Roger Ageneau, Sida en Haïti porte l’imprimatur de mon ami Jean Benoist, qui dirige la collection dans laquelle le livre paraît. Je suis reconnaissant envers tous les maillons de cette chaîne.

Dans la mesure où il est permis à un auteur de dédicacer une traduction, je dédicace celle-ci à Christine Murray, avec ma gratitude et ma grande affection.

Paul Farmer,
Do Kay, Haïti
3 août 1996


La traductrice, Corinne Hewlett, souhaite remercier, pour les renseignements précieux qu’ils lui ont fourni et le temps qu’ils lui ont consacré, le Docteur Olivier Zak Dit Zbar, médecin, Centre d’information et de soin de l’immunodéficience humaine (cisih), hôpital Cochin, et Dominique Buchillet, anthropologue, orstom.

Je dédie ce livre à la mémoire de mon père
« S’il y a une société qui aurait dû être totalement annihilée, matériellement et spirituellement, par les épreuves de la « modernisation », c’est bien Haïti. »
S. Mintz, Introduction, in A. Métraux,
Voodoo in Haiti, p. 7


SIDA en Haïti. La victime accusée.
Préface de l’auteur

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Jean-Bertrand Aristide parle de « l’infinie bonté » des pauvres d’Haïti, « dans les petits détails et pour les choses les plus graves ». On peut difficilement soutenir qu’un ouvrage universitaire soit d’une importance cruciale dans un pays pratiquement illettré. Je dois remercier d’autant plus chaleureusement mes hôtes haïtiens : ils m’ont aidé à mener à bien une entreprise qui aurait pu leur paraître assez secondaire, à savoir l’écriture d’un livre, en langue anglaise qui plus est. Qu’un médecin et anthropologue non haïtien consacre un livre au sida en Haïti apparaît comme un épiphénomène issu d’un ordre international en pleine évolution. Les rapports de ce dernier avec la maladie sont traités en détail dans cet ouvrage qui s’efforce de replacer les données ethnographiques et épidémiologiques dans leur perspective historique. Une telle approche a suscité des désaccords : fallait-il accorder autant de place à l’histoire pour déchiffrer une épidémie si récente ?

À l’opposé des lecteurs haïtiens, les lecteurs étrangers conseillaient d’abréger, voire de supprimer, la partie historique. Cette question est capitale puisqu’elle touche à l’une des thèses principales de l’ouvrage, selon laquelle l’évolution de la pandémie et les réactions qu’elle a suscitées ont été modelées par l’ordre social décrit dans les chapitres historiques. Une seconde raison, plus importante, a emporté la décision en faveur du maintien des chapitres historiques : si mes informateurs locaux s’accordaient sur un point, c’était justement pour dire que les conséquences épidémiologiques et sociales de ce nouveau fléau devaient être examinées à la lumière des infortunes passées du pays. L’ouvrage établit donc un parallèle entre un phénomène récent qui continue de se développer, l’épidémie de sida, et la trajectoire historique du peuple haïtien, considérée ici avec beaucoup de sympathie.

Ma deuxième remarque concerne les origines du sida. En tant que médecin formé aux États-Unis, je sais que de nombreux professionnels de la santé ont sur le rôle d’Haïti des idées fausses qui prennent des formes franchement grotesques dans l’esprit des non-spécialistes. Beaucoup d’Américains pensent ainsi que le sida est arrivé aux États-Unis en provenance d’Haïti. Or les données historiques et cliniques prouvent le contraire. Mes interlocuteurs trouvent parfois cette vérité difficile à accepter. Mais c’est le sida lui-même qui est inacceptable, et ce d’autant plus que ses origines restent mystérieuses. Le lecteur comprendra, je l’espère, qu’en retraçant le parcours social du virus, je ne veux pas ajouter à la spirale d’accusations et de contre-accusations dont je rappelle l’enchaînement dans ce livre. Il faut cependant rétablir la vérité au sujet du sida et des Haïtiens : les données aujourd’hui disponibles infirment la thèse selon laquelle le vih serait arrivé aux États-Unis à partir d’Haïti.

Mon travail se base sur des années d’observation participante, méthode de base du travail ethnographique. Je renvoie à différents articles et ouvrages (Farmer 1990a, 1991a) les lecteurs intéressés par les questions méthodologiques et éthiques que pose une enquête auprès de gens très pauvres en période d’épidémie ; j’évoque ailleurs (Farmer 1990c) les moyens qui permettent, par des entretiens récurrents, de dégager les significations données à la maladie. On trouvera des considérations plus générales sur le sida et la constitution d’une anthropologie de la souffrance dans deux autres textes (Farmer 1988a, Farmer et Kleinman 1989), et un examen approfondi de la place du sida dans le domaine de l’anthropologie médicale (dans Farmer et Good 1991). Enfin, j’ai abordé avec d’autres médecins anthropologues soucieux de prévention la question de l’apport des données ethnographiques dans un travail de prévention au jour le jour (Farmer et Kim 1991, Farmer, Robin, Ramilus et Kim 1991).

Je veux enfin rappeler tout ce que je dois aux nombreuses personnes qui m’ont aidé dans la préparation et la rédaction de cet ouvrage. Je souhaite adresser le premier remerciement d’une longue liste aux gens de Do Kay. Les mots expriment mal l’admiration que je ressens pour eux : dignes dans la souffrance, ils savent encore se montrer chaleureux à l’égard de quelqu’un qui, après tout, représente le pays qui leur a fait tant de mal. De façon plus officielle, ma gratitude va à la MacArthur Foundation dont le généreux soutien m’a permis de poursuivre mes études en médecine et en anthropologie. Je suis également reconnaissant à l’égard de la Harvard Medical School qui m’a fourni deux bourses pour poursuivre mes recherches en Haïti. Je remercie aussi, moins solennellement et plus affectueusement, Fritz et Yolande Lafontant dont les encouragements m’ont rappelé à mon devoir d’universitaire quand la recherche semblait perdre toute importance : ce livre n’aurait pas existé sans eux, tout simplement. De même, un grand merci à Thomas White qui, outre son soutien à Projé Veye Sante, programme de prévention auquel je participais, m’a offert appui moral et aide technique.

Peggy et Jennifer Farmer, et surtout Ophelia Dahl, ont travaillé avec moi sur le terrain. Ophelia m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur Haïti ; je lui en serai toujours reconnaissant. Jean François, Didi Bertrand et Lernéus Joseph ont œuvré pendant des années à Projé Veye Sante et sont devenus d’excellents enquêteurs ; je remercie également tous ceux qui participent au programme. Je n’oublierai jamais nos trois collègues emportés par des maladies que l’on aurait pu prévenir ou guérir : Acéphie Lamontagne, Michelet Joseph et Marie-Ange « Ti-Tap » Joseph.

J’éprouve du respect et de l’admiration pour plusieurs médecins haïtiens au nombre desquels Ramilus Saint-Luc, Simon Robin, Ernst Calixte et Maxi Raymonville, que je remercie pour de longues années de fraternité et d’espoir. Je suis reconnaissant à Marie-Marcelle Deschamps et Jean Pape qui ont contribué à l’avancement de la recherche sur le sida ; ils ont surtout, dans des conditions difficiles et avec des moyens limités, soulagé les souffrances de centaines de leurs concitoyens frappés par cette maladie.

Steven Nachman et Haun Saussy m’ont donné des conseils d’ordre général : je m’estime heureux d’avoir bénéficié de leur savoir exigeant, si stimulant lorsqu’on faiblit devant l’ampleur de la tâche. Allan Brandt, Leon Eisenberg, John Hines, Mariette Murphy, Jeffrey Parsonnet, Pauline Peters, Camille K. Rogers, Ricardo Sanchez et Madeleine Wilson m’ont fourni leurs commentaires judicieux sur le fond. Carla Fujimoto et Jenny Hall, ainsi que Jennifer Farmer, m’ont conseillé pour le style. Stanley Holwitz, de la University of California Press, m’a encouragé à publier ma thèse.

Plusieurs spécialistes d’Haïti et des Caraïbes m’ont apporté leur point de vue sur les chapitres ethnographiques et historiques. Depuis des années, Catherine Maternowska lit mes textes d’un œil aussi amical que critique. Ruth Berggren, qui appartient autant à la culture américaine qu’à la culture haïtienne, m’a aidé à déchiffrer certains entretiens ; Jenny Hall m’a également apporté son concours dans cette tâche. Rosemarie Chierici, manman poul exemplaire, a éliminé des erreurs de transcription qui m’auraient mis dans l’embarras. Laënnec Hurbon et Orlando Patterson n’ont été avares ni de conseils ni d’encouragements. Je suis également reconnaissant aux membres de la American Anthropological Association’s Task Force on Aids, et en particulier à Shirley Lindenbaum, pour leurs avis éclairés, ainsi qu’au Aids and Anthropology Research Group.

C’est un honneur pour moi que de souligner ma dette à l’égard d’Arthur Kleinman. Ses étudiants reconnaissent en lui l’un des principaux architectes d’un groupe de chercheurs attachés à l’étude des
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