Essais. Rome, démocratie impossible ?







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[Illustration visuelle (diapositive) : Louis Le Vau et Jules Hardouin-Mansart, Château de Versailles, Façade sur les jardins (1668-1671)]
Les tableaux de Poussin, ceux de Claude Lorrain respirent l'harmonie, la symétrie. On n’y retrouve pas les contrastes dramatiques du Caravage.

Le Bernin, qui avait commencé sa carrière de sculpteur par le spectaculaire baldaquin de Saint-Pierre (1624), tout en torsades, essuie en France des échecs répétés. En 1665 il est appelé par Louis XIV et Colbert pour construire la façade principale du Louvre. Mais le roi refuse son projet, et ce sera Claude Perrault qui construira la colonnade du Louvre, dans un style « antique ». De retour à Rome, Le Bernin exécute quand même la statue équestre du monarque. Elle déplaît, et Giraudon est chargé de la transformer en un Marcus Curtius, relégué loin du château, au bord de la pièces d'eau des Suisses.
[Illustrations visuelles (diapositives) :

-Claude Perrault (1665-1771), La colonnade du Louvre

-Le Bernin, Maquette de la statue équestre de Louis XIV (1669- 1670), Rome, Galerie Borghèse]
Je préfère ce qui me touche à ce qui me surprend, disait quant à lui Couperin, ce qui traduit une réception mitigée du baroque. D'ailleurs, Pier Francesco Cavalli (1602-1676), le prestigieux successeur de Monteverdi, n'eut pas plus de chance que Le Bernin, pratiquement au même moment. En 1659 Mazarin commence à préparer le mariage du jeune Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse d'Espagne. Il commande à Cavalli un opéra, Ercole amante. Celui-ci s'exécute et effectue à Paris un séjour de deux ans, de 1660 à1662. Si la partition comporte un certain nombre de dissonances, le prologue prend soin de flatter le roi en le comparant à Hercule. Mais cela ne suffira pas à faire le succès de Cavalli. Le public s'ennuie et se met à discuter pendant la représentation. Il est vrai que l'acoustique des Tuileries était mauvaise et que le livret n'avait pas été traduit de l'italien... Mais ces conditions techniques n'expliquent pas tout. Cavalli essuya un échec parce que si peu de temps après la mort de Mazarin (en 1661), l'hostilité envers le style italien, notamment en musique, était encore très grande : l'association de la musique et de la poésie, ressort de l'opéra italien, et, plus largement, baroque, était mal vue et le spectacle favori restait le ballet de cour. Cavalli quitte la France dépité et furieux, en jurant qu'il ne composera jamais plus d’opéra (promesse non tenue, heureusement).

La France n'acceptera l'opéra que francisé-ironie du sort, par un Italien : Lully-c'est-à-dire en en gommant les effets lyriques les plus accentués, et en y insérant des ballets.

Aujourd'hui encore, le touriste français en visite à Prague, capitale du baroque, est étonné, déconcerté quand il visite l'église Saint-Nicolas 20 où abondent les trompe-l'oeil, les tentures de marbre et une ornementation luxuriante. Mais est-il séduit ?

Au-delà de leur caractère anecdotique, ces épisodes traduisent bien une tendance plus profonde, bien française : exprimer le maximum, certes, mais d'une manière la plus concise possible. Ceci dit, toute la production française de cette époque est dominée par la nécessité de l'analyse des sentiments. Descartes, avec Les passions de l'âme (nous y reviendrons) ; les Caractères de La Bruyère ; tout le théâtre de Molière, les Mémoires de Saint-Simon. Les partitions de Couperin portent la trace de ce souci d'expression. Au contraire des Italiens, il multiplie les indications d'interprétation, sous forme d'adverbes (noblement, rondement, gracieusement, élégamment, tendrement, voluptueusement, etc.). Ne pensons pas pour autant que les compositeurs français enserrent les interprètes dans un carcan. À la différence, ici encore, des Italiens, qui après 1650 tendent à jouer leur musique comme elle est écrite, les Français ont l'habitude de prendre des libertés avec le texte, et même avec la mesure. Dans L'art de toucher le clavecin, Couperin précise :

« Quoique des tremblements soient marqués égaux dans la table des agréments de mon premier livre, ils doivent cependant commencer plus lentement qu'ils ne finissent, mais cette gradation doit être imperceptible ».

Par ailleurs, qui écoute certaines pièces de Charpentier (1634-1704), sans doute le plus influencé par l'Italie des compositeurs de ce temps, se sent incontestablement à l'âge baroque. Ainsi de sa Messe pour les Trépassés, écrite dans des dernières années de sa vie : on passe souvent d'une tonalité à l'autre de manière abrupte, les dissonances sont nombreuses ainsi que les hésitations entre majeur et mineur (le Lacrymosa) à la manière de clair-obscurs. Mêmes effets dramatiques dans les Grand Motets de Mondoville (1711-1772).
[Illustrations sonores :

-Mondoville, Grands motets ,Elevaverunt flumina du Dominus regnavit

-Bach, Choral pour orgue : Christ est venu au Jourdain (1739)

-Charpentier, Lacrymosa de la Messe pour les trépassés]
Les grands auteurs de théâtre mettent aussi action sur l'expression. Dans les Précieuses ridicules, Molière oppose les styles naturel et ampoulé et dit des bons acteurs :

« Il n'y a qu’eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers et s'arrêter au bel endroit ».

En peinture, le Christ aux anges de Charles Le Brun (1629-1688) conjugue une extraordinaire déclinaison des émotions sur les visages des anges qui entourent de Jésus dans son agonie.
[Illustration visuelle : Charles Le Brun, Le Christ aux anges, Le Louvre]
Par ailleurs, si la façade du château de Versailles ne montre guère d'exubérance baroque, le parc mérite quelques réflexions.

Louis XIV y était si attaché qu'il rédigea lui-même le guide de sa visite. Certes, on remarque d'abord les parterres à la française, qui comportaient d'autant moins de couleurs au XVIIe que les fleurs étaient plus rares et leurs couleurs relativement discrètes (les tons prédominants étaient le bleu, le rose, le blanc ou le mauve. Les couleurs plus vives, comme le jaune ou le rouge, n'apparaîtront que vers 1720-1730) . Mais le parc comporte aussi des bosquets. On y pénètre par des allées obliques, afin que soit augmenté l'effet de surprise, caractéristique de l'art baroque. Certains , comme celui des Rocailles (aujourd'hui restauré), sont voués à l'imagination, au plaisir : ici le spectacle et la danse21. Les spectateurs étaient assis sur des gradins de gazon face à un décor de rocaille traversé de mille cascades. Le promeneur pouvait aussi s'égarer ou méditer dans le Labyrinthe, qui fut détruit sous Louis XVI et remplacé par l'actuel Bosquet de la Reine.
[Illustration audiovisuelle : Louis XIV danse dans le bosquet des Rocailles]
En fin de compte, il existe sans doute bien une France baroque , mais en retrait par rapport aux autres exemples européens. Cela en raison de ce qu'il faut bien appeler les spécificités de la culture française, attachée à la raison, la clarté, la concision. Mais pour autant cette culture n'est nullement hostile à l'expression des sentiments, le credo baroque. On peut être d'un tempérament à la fois réservé et sensible...

Si bien qu'on a proposé de définir le classicisme français comme «... la corde la plus tendue du Baroque »22.

Mis à part une référence très globale au modèle de l'Antiquité (revivifiée, au XVIIIe, par la découverte de Pompéi) le classicisme n'est d'ailleurs guère plus aisé à définir que le baroque.

Le terme « classique » servit d'abord à qualifier des oeuvres littéraires, servant d'exemples dans les écoles. Au XIXe siècle, on

l’ appliqua aux écrivains de la période de 1660-1680, puis, un peu plus tard, aux Beaux-Arts. Le terme signifie alors la régularité et une certaine impersonnalité. En musique, il désigne en principe une période qui va de 1760 à 1800, période pendant laquelle la sonate et la symphonie atteignent une perfection formelle. Mais la référence classique devient par moment bien incertaine, comme le montre le cas de Mozart, qui appartient chronologiquement à cette période. Par certains traits, il est classique : ses symphonies, sa recherche de livrets cohérents, sa fascination pour la rigueur des fugues de Bach. Mais bien des airs de ses opéras, surtout La flûte enchantée et Don Juan, possèdent une souplesse baroque et sont de fines pointes de l'expression des sentiments.
Si Mozart est à l’heure actuelle le compositeur préféré des Français23, ce n'est certes pas parce qu'ils y perçoivent un imitateur des modèles de l'Antiquité...

Même constat en peinture : on ne retrouve guère l'impersonnalité classique chez Fragonard, Guardi, dans les paysages de Joseph Vernet ou d'Hubert Robert.

L'incertitude pèse aussi sur les mots, comme nous allons le voir.


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Chapitre I : des mots en souffrance :
Étymologie des passions

Les passions sont plurielles. Leurs acceptions aussi. De manière générale, elles évoquent, comme le baroque, l'idée de mouvement, de changement. Et aussi d'exagération, à laquelle les rédacteurs d'articles de dictionnaire d'encyclopédie lient volontiers la souffrance. Ce qui en revanche n'est pas un caractère général de l'art baroque. Il lui arrive certes de peindre la douleur (cf. les innombrables tableaux des Passions du Christ, le genre musical des Lamentations), mais tout autant la joie, l'exultation, le ravissement. Les sources littéraires sont plus circonspectes.
Section I : Derrière la passion, la souffrance
Le terme grec pathos (on parle encore de nos jours d'un pathos romantique, de manière péjorative) désigne un état de l'âme, bon ou mauvais, agitée par des circonstances extérieures. Le Gaffiot donne comme traduction au latin passio , en premier : le fait de supporter, souffrir ; puis : maladie, affection de l'âme, perturbation dans la nature. Quelques siècles plus tard, cette tonalité négative n'a pas changé puisque du XIIe au XVIe siècles, passionner signifie causer des souffrances. En 1668, le peintre Charles Le Brun cherchant à codifier les expressions du visage suivant les passions, les définit comme suit dans une conférence donnée devant l'Académie royale de peinture et de sculpture :

« ...la passion est un mouvement de l'âme, qui réside en la partie sensitive, lequel se fait pour suivre ce que l'âme pense lui être bon, ou pour fuir ce qu'elle croit lui être mauvais ; et d'ordinaire tout ce qui cause à l'âme de la passion fait faire au corps quelque action ».

Le Dictionnaire de l'Académie française (quatrième édition, 1762) cite en premier la souffrance, prenant l'exemple de la Passion du Christ, ou le terme médical de passion iliaque, pour désigner la colique de miserere, autrement dit l'appendicite. En second : le mouvement de l'âme excité par quelque objet. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1722) insiste sur la notion de passivité, pour caractériser la défaite de celui qui se livre à ses passions :

« Les penchans, les inclinations, les désirs et les aversions, poussés à un certain degré de vivacité, joints à une sensation confuse de plaisir ou de douleur, occasionnés ou accompagnés de quelque mouvements irrégulier du sang et des esprits animaux, c'est ce que nous nommons passions. Elles vont jusqu'à ôter tout usage de la liberté, état où l'âme est quelque manière rendue passive ; de là le nom de passions ».

Une tonalité largement mineure, qui lie souvent la passion à la douleur, et même à l'aliénation. Cela nous surprend, car nous partageons en général une idée plus positive de la passion, que nous avons tendance à considérer seulement dans ses aspects enivrants. Nous savons sans doute qu'elle peut faire souffrir, mais avons tendance à faire passer la douleur au second plan. Nous n'ignorons pas non plus qu'elle est brève, mais puisque nous avons la conscience aiguë du caractère éphémère des choses, mieux vaut être heureux un moment que pas du tout. Nous avons donc tendance allier les notions de bonheur et de passion, même si nous les distinguons. Une attitude qui aurait bien surpris nos ancêtres.

En 1963 le Grand Larousse encyclopédique reprend la définition globale déjà avancée dans le passé (Mouvement, agitation de l'âme en général), mais distingue entre deux sens. L'ancien, tiré de Descartes : tous les phénomènes affectifs, caractérisés par la passivité. Le moderne : un sentiment intense, exclusif, l'équivalent de l'idée fixe dans le domaine intellectuel. Mais pas la souffrance...

La frontière avec les mots- satellites n’est pas non plus nettement tracée. Aristote, le premier auteur à avoir théorisé les passions dans sa Rhétorique fait des passions tous les affects, la colère, mais aussi la pitié, mélangeant aux passions ce que nous nommons les sentiments. En 1982, le Petit Robert définit l'émotion comme un mouvement, une agitation, une réaction affective intense se manifestant par des troubles physiques. Quant à la sensation, c'est un phénomène par lequel une stimulation externe agit sur l'être vivant ; un état psychologique à forte composante affective, distinct des sentiments par son caractère immédiat et par un caractère physiologique plus marqué.

Comme on le voit, on retrouve ailleurs des traits censés spécifier la passion notamment sans liens avec des réactions corporelles. C'est reconnaître qu'elle associe le mental et le physique. On remarquera enfin la quasi-disparition du terme passions dans le vocabulaire de la psychologie contemporaine, qui utilise davantage les notions de tendance, affect ou pulsion.

Mais le plus important pour nous, dans les emplois anciens du terme, consiste dans la fréquence de la référence à la souffrance. Loin d'être incohérent, le couple passion-souffrance est consubstantiel. Leibniz l'avait déjà remarqué en discernant dans tout état affectif un sentiment sous-jacent d'inquiétude, une préparation à la douleur. Freud est allé plus loin, répétant non seulement que la passion est une réaction de défense contre l'angoisse, mais qu'elle tire sa force, son caractère exclusif-un de ses traits déterminants-du refoulement de la passion opposée, refoulement qui peut se rompre , suivant les circonstances. Le refus, la rupture font surgir ce que la passion visait à conjurer, qui demeurait caché jusque dans son coeur : la perte, le sentiment de manque. Le sujet appréhende la survenance d'un processus qui, en fait, s'est déjà passé. Roland Barthes l'avait bien compris:

« elle [l'angoisse d'amour] est la crainte d'un deuil qui a déjà eu lieu, dès l'origine de l'amour, dès le moment où j'ai été ravi. Il faudrait que quelqu'un puisse me dire : « Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdu(e) »24.

Et il l’appréhende d'autant plus que, justement, son inconscient a gardé la mémoire des douleurs engendrées par la perte. Mais la perte de quoi ?

Pour Freud, de l'état narcissique de la petite enfance dans lequel l'enfant confond son amour pour lui-même et l'amour de la personne qui prend soin de son existence :

« Le plein amour d'objet par étayage est particulièrement caractéristique de l'homme. Il présente la surestimation sexuelle frappante qui a bien son origine dans le narcissisme originaire de l'enfant et répondant à un transfert de ce narcissisme sur l'objet sexuel. Cette surestimation sexuelle permet l'apparition de l'état bien particulier de la passion amoureuse qui fait penser à une compulsion névrotique, et qui se ramène ainsi un appauvrissement du moi en libido au profit de l'objet (...). Ce qu'il projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance »25.

D'ailleurs Freud est convaincu qu'il ne sert à rien de chercher les raisons pour lesquelles on aime l'autre, puisqu'en réalité cette quête nous éloigne de notre partenaire, dans la mesure où les explications que nous pouvons trouver ne le concernent pas. C'est le sens d'une lettre qu'il écrit le 16 janvier 1884 à son épouse Martha :

« Quand nous nous retrouverons, tu seras peut-être offusquée en découvrant que je diffère du beau tableau créé par ta tendre imagination. Je ne veux pas que tu m’aimes pour des qualités que tu me prêterais, ni d'ailleurs pour aucune autre qualité : il faut que tu m’aimes sans raison, comme aiment sans raison tous ceux qui aiment, simplement parce que je t'aime, et tu n'as pas à en avoir honte »26

Ce travestissement du passé refoulé en futur redouté explique par ailleurs le paradoxe maintes fois constaté suivant lequel l'amour est proche de la haine : l'amant déçu peut devenir le pire ennemi de l'ancien objet de son désir. En quoi l’état amoureux, dans sa composante passionnelle, se distingue radicalement de l'authentique amour, même si les amants s'assurent passionnément de leur amour...

Nos prédécesseurs ne jouissaient pas des secours de la psychanalyse, mais leur mentalité était façonnée par la religion chrétienne, alors très largement marquée par le péché (il existe plus de musiques sacrées sur la passion du Christ que sur sa Résurrection...), avant que les élites ne rendent un culte à la Raison des philosophes : dans les deux cas, on ne pouvait considérer les passions qu'avec prudence.

Une lecture un peu plus détaillée de l'article que leur consacre l'Encyclopédie de Diderot nous en convaincra.
Section II : La Raison, antidote de la souffrance
À la différence du bouddhisme, l'Encyclopédie ne va pas jusqu'à prôner l'extinction des passions. Car celles-ci sont nécessaires à l'action :

« Si nous étions les maîtres de nous donner un caractère, peut-être que considérant les abîmes où la fougue des passions peut nous entraîner, nous le formerions sans passions. Cependant, elles sont nécessaires à la nature humaine et ce n'est pas sans des vues pleines de sagesse qu'elle en a été rendue susceptible. Ce sont les passions qui mettent tout en mouvement, qui animent le tableau de cet univers (...) Celles qui se rapportent à nous-mêmes nous ont été données pour notre conservation, pour nous avertir et nous exciter à rechercher ce qui nous est nécessaire et utile, et à fuir ce qui nous est nuisible. Celles qui ont les autres pour objet servent au bien et au maintien de la société ».

Comment ne pas souffrir des passions ? En les domestiquant par la raison :

« Toutes s'arrêteroient dans leurs justes bornes, si nous savions faire un bon usage de notre raison pour entretenir ce parfait équilibre ; elles nous deviendraient utiles... ».

Et de prêcher dans les définitions des différentes passions leur exercice modéré :

-on obtiendra le plaisir des sens par l'exercice modéré de nos facultés corporelles. Tout ce qui satisfait nos besoins sans aller au-delà donne le sentiment de plaisir (...) Le contraire ou l'excès produit un effet tout opposé.

-même leçon pour les plaisirs de l'esprit ou de l'imagination :

« Ceux qui ont recherché le principe général de la beauté ont remarqué que les objets propres à faire naître chez nous un sentiment de plaisir sont ceux qui réunissent la variété avec l'ordre ou l'uniformité (...) Voyez dans la Musique les consonances tirer leur agrément de ce qu'elles sont simples et variées ; variées, elles attirent notre attention ; simples, elle ne nous fatiguent pas trop. Dans l'architecture, les belles proportions sont celles qui gardent un juste milieu entre une uniformité ennuyeuse et une variété outrée qui fait le goût gothique. La sculpture n'a-t-elle pas trouvé dans les proportions du corps humain cette harmonie, cet accord dans les rapports, et cette variété des différentes parties qui constituent la beauté d'une statue ? La peinture est assujettie aux mêmes règles. Pour remonter de l’art à la nature, la beauté d'un visage n'emprunte-t-elle pas ses charmes des couleurs douces, variées, de la régularité des traits, de l'air qui exprime différents sentiments de l'âme ? Les grâces du corps ne consistent-t-elles pas dans un juste rapport des mouvements aux fins qu'on s'y propose ? ».

A priori, quoi de plus raisonnable, en effet ?
Mais n'est-ce pas justement le propre des mouvements passionnels d'être rétifs à la modération ? Une passion tempérée est-elle toujours de la passion ? Ce qui n'est pas un jugement de valeur. Au contraire, on admettra volontiers qu'à supposer qu'il soit possible, l'amour profond, enraciné dans la durée, déshabillé du déguisement des émois de l'état amoureux constitue un état plus enviable que la passion , adossée à la douleur et à l'angoisse. Mais on est là dans un autre sujet.

D'autre part, sur le plan artistique, il n'est nullement avéré que, comme le croit le rédacteur de l'article, la beauté soit toujours issue de l'harmonie. C'est l’idéal classique, dont étaient convaincus les auteurs de l’Encyclopédie. Mais l'art baroque, le romantique et celui du XXe siècle le démentent. L'art est un langage, qui ne sert pas à exprimer que le Beau ; le Beau lui-même peut être engendré par le désespoir, le pathétique... et même la souffrance, ce qui explique sans doute que la passion et l'art fassent en général bon ménage.
Le vocabulaire de la passion est donc problématique. Mais il décrit toujours des mouvements éprouvés par des individus, alors qu'il existe des passions collectives, comme celles mobilisées par des chefs charismatiques. Peut-être même l'état amoureux a-t-il une dimension collective si l'on adhère à la définition qu'en donne son spécialiste, F.Alberoni : l'état naissant d'un mouvement collectif à deux27. Il entend par là que dans l'état amoureux comme dans certains mouvements collectifs (religieux, politiques) où l'ensemble des acteurs se reconnaît dans un leader, se produit un mouvement attribuant à l’être aimé ou adulé un ensemble de qualités qui transfigurent notre vie, alors qu'en réalité cette transfiguration tient moins à l'autre personne qu'à la nature des relations que nous établissons avec elle, aboutissant à la création d'un sujet collectif nouveau, le couple des amants en ce qui concerne l'état amoureux, le Volk et son Führer dans le cas du nazisme.
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