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Un livre d'artiste est une œuvre d'art prenant la forme ou adoptant l'esprit d'un livre. Sommaire [masquer]
Une locution ambiguë[modifier | modifier le code] Cette locution demeure aujourd'hui quelque peu problématique et sa définition en français – nécessairement plurielle – passe par l'étude des différentes acceptions qui la sous-tendent, lesquelles évoluèrent au fil du temps :
Jamais closes, ces batailles de mots renvoient à l'évolution même des arts et, sur le plan formel, du livre. Cette évolution riche et complexe est bien entendue liée au marché de l'art, de la bibliophilie, à l'évolution des techniques d'impression, aux modes de production, aux différents points de vues privés ou institutionnels qui trouvent à s'exprimer, et surtout à ce que l'on entend par artiste et livre : l'éditeur, le poète, le graphiste ne sont-ils pas eux aussi reconnus comme des producteurs de formes ? Si l'on se place enfin du côté de l'objet « livre », doit-il systématiquement adopter la forme du cahier relié ? L'on voit bien ici que si l'on réduit le mot artiste à celui de peintre et le mot livre à l'objet contenant l’œuvre d'un écrivain, le champ du livre d'artiste s'en trouve soudain réduit. Le cas William Blake[modifier | modifier le code] ![]() Songs of Innocence and of Experience de William Blake (1789-1794). L'un des premiers livres entièrement imaginé, conçu et fabriqué en marge d'un système lié à l'époque auprivilège d'édition qui réglementait et limitait l'imprimé, est le recueil de poèmes Songs of Innocence and of Experience que réalisa William Blake à quelques exemplaires à partir de 1789 avec l'aide de son épouse Catherine8. Blake est un créateur pluridisciplinaire : poète et peintre, graveur, imprimeur et éditeur. Il met en page ses textes et ses gravures selon une technique qui lui est propre, proche de l'eau-forte, organisant sur une même plaque de cuivre les rapports entre texte et images qu'il travaillait d'abord à l'acide, puis, une fois imprimée, la feuille était retouchée à l'aquarelle, ce qui rendait en définitive chaque exemplaire unique9. L'on s'inscrit là dans la longue tradition qui remonte aux livres enluminés du Moyen Âge comme Les Très Riches Heures du duc de Berry, sauf que Blake monte ici une petite unité de production parfaitement autonome, n’obéissant pas à un travail de commande. La bibliophilie moderne[modifier | modifier le code] Selon Yann Sordet10, la passion des collectionneurs de livres s'exacerbe à mesure que ceux-ci s'en trouvent illustrés. Ce mouvement prend naissance vers la fin du xviiie siècle, du moins en France. Citons cette édition des Contes et nouvelles en vers de La Fontaine illustré par Fragonard (1762)11 ou plus tard, celle desCaprices de Goya (v. 1799), ou ce Faust de Goethe illustré par Eugène Delacroix (1828)12, ouvrages rarissimes que le collectionneur Henri Beraldi considéraient comme les premiers joyaux du livre illustré moderne13. Article détaillé : Illustration. Au milieu du xixe siècle, surgit l'idée d'associer un artiste-graveur et un poète, dans l'esprit d'une bibliophilie moins luxueuse (ou « bourgeoise »), plus accessible donc. On doit à des éditeurs comme Alphonse Lemerre14, Richard Lesclide ou Auguste Poulet-Malassis ces premières tentatives, du moins en France. L’appellation « livre de peintres » est alors utilisée par qualifier ces productions. Vers 1875, parallèlement aux expériences britanniques du mouvements Arts & Crafts, émergea en France une nouvelle école de la bibliophilie qui repensa le livre à l'aune d'une collaboration plus étroite avec les peintres. Ces livres, dont la réalisation butta longtemps sur des problèmes techniques d'ordre reprographique, furent vendus par souscription et certaines expériences échouèrent d'un point de vue commercial. C'est ce que rappelle l'historien Yves Peyré15, qui montre que cette forme de livre d'artiste collaborative où l'éminence est rendue aux peintres est née en France, à la fin de xixe siècle, en particulier grâce à Stéphane Mallarmé et sa traduction du Corbeau d’Edgar Allan Poe, illustrée de gravures d'Édouard Manet16. Toutefois, ces ouvrages français, qui firent certes école 17,18, offraient encore la part trop belle aux éditeurs et aux écrivains. Les avant-gardes et le livre[modifier | modifier le code] Dans les dernières années de la Belle Époque, quelques artistes choisirent de repenser le support "livre". Citons Marinetti dont les écrits théoriques aboutiront au début des années 1930 à la conception de livres futuristes, imaginés et conçus par des artistes italiens qui convoquèrent des matériaux inhabituels ; citons également les expériences constructivistes avec notamment Rodtchenko, Olga Rozanova19 ou Alexeï Remizov. Ces expériences contribuèrent à révolutionner les arts graphiques, à repenser la typographie, la reliure, les formats et les agencements texte-image et au fond à bousculer les standards de présentation de l'objet livre. Toute autre fut la démarche de Marcel Duchamp : bien avant d'être rattaché au dadaïsme via Man Ray et Francis Picabia, il imagina dès 1913 de rassembler des reproductions de ses écrits et de ses dessins dans une boite, ce qu'il fit en 191420. Ce geste, fondateur, donna naissance plus tard au concept de boîte surréaliste, qu'un mouvement comme Fluxus systématisa à la fin des années 1950. Enfin, au cours des années 1930-1950, les limites entre éditeur, artiste et écrivain deviennent plus floues encore avec les expériences d'un Georges Hugnet ou d'un Pierre André Benoit : ici l'éditeur est vu comme un artiste, l'artiste choisit d'être éditeur, et plus encore. Qui, de l'auteur, de l'artiste, de l'éditeur détient la part décisive qui donne sa singularité à l'objet ? Il n'existe pas de réponse univoque à cette question, qui reste ouverte. Une œuvre d'art multiple[modifier | modifier le code] Les avant-gardes qui émergent après 1945 aux États-Unis, en Europe, au Brésil ou au Japon, eurent une influence déterminante sur l'approche conceptuelle du livre. D'un point de vue théorique, un écrit aussi important que L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin ne fut diffusé qu'au milieu des années 1950. Mais l'idée que l'on puisse fabriquer de l'art en série, que l'unicité ne conditionne pas le statut d'une œuvre, et qu'enfin l'on puisse attribuer à un objet fabriqué à plusieurs exemplaires une dimension esthétique remarquable, était déjà en germe chez bon nombres d'artistes bien avant la guerre : le dadaïsme et le surréalisme ne furent pas des moindres à bousculer le rapport entre livre et artiste, notamment en s'emparant du livre et en produisant une grande quantité d'ouvrages. Enfin, l'invention du ready made contribua grandement à désacraliser le statut de d’œuvre d'art : Duchamp s'était, dès les années 1930, engagé à produire des "copies certifiées" de ses readymades, en détournant les processus de fabrication des objets dits manufacturés21. Après guerre, le support livre intéressa particulièrement les fondateurs du mouvement nord-européen Cobra, par exemple, et le peintre Alechinskyreste l'un des artistes les plus prolifiques en termes de livres. L'un de ses membres, Asger Jorn, rejoignant l'Internationale situationniste, réalisa en 1959 avec Guy Debord MémoiresMémoires, en forme de détournement du concept déjà usé de livre de peintre. Entre temps, le mouvement lettristefut particulièrement centré sur le livre en tant que champ expérimental. L'artiste belge Marcel Broodthaers et ses objets trouvés, le brésilien Augusto de Campos et ses poèmes concrets, le performeur japonais Jirō Yoshihara du mouvement Gutai et ses calligraphies minimalistes sur supports multiples, contribuèrent à repenser le médium livre et ses rapports avec le geste artistique. Théorisé par l'architecte formé au Bauhaus, le suisse Max Bill, l'art concret eut une influence déterminante sur un artiste comme Dieter Roth : celui-ci rencontra Daniel Spoerri en 1954 puis se mit à fabriquer des livres dès 1957 en Islande, non pas uniques, mais à plusieurs exemplaires, en créant sa propre maison d'édition : Forlag ed. En 1959, Spoerri créa lui aussi une maison d'édition, Éditions MAT, produisant ce qu'il appelait des multiples, invitant par ailleurs son ami Roth dans le cadre de cette structure. Très lié à Duchamp, John Cage ouvrit de 1957 à 1959 à la New School de New York, une série de séminaires d'où émergèrent la plupart des artistes du mouvement Fluxus. Dès 1958, George Brecht produit des boites, détournements parfois comiques des jeux d'esprit ou des "casse-têtes", accompagnés de petits textes imprimés sur des fiches cartonnées et d'objets courants (pièce de monnaie, coquillage, perles, etc.). George Maciunas,Joseph Beuys, Yoko Ono, Emmett Williams, Nam June Paik, Ben, Ken Friedman et d'autres produisirent également ce type d'objets, en conjonction avec les tenants du Nouveau réalisme. Les années 1960[modifier | modifier le code] ![]() Twentysix Gasoline Stationsd'Ed Ruscha (1963). Dans les années 1960, les artistes de l'époque (notamment Edward Ruscha22, Jan Dibbets23, Christian Boltanski, Marcel Broodthaers) essaient d'utiliser le livre pour présenter le textuel et le visuel d'une façon expérimentale. Or, la réalisation de ces livres entrait en contradiction avec le livre d'artiste tel qu'on l'entendait depuis le début du xxe siècle : édités à un grand nombre d'exemplaires sur des supports ordinaires, ces livres brisaient les conventions liées aux pratiques bibliophiliques et au marché de l'estampe. Non numéroté et non signé, ils sont à inscrire en quelque sorte dans la lignée du Pop art qui détournait les dispositifs de production industrielle en les court-circuitant par ses propres productions effectuées à très grand nombre24. Il importe de revenir sur le premier "livre" produit par Ed Ruscha. « En 1963, paraît un petit livre étrange, indéfinissable malgré son aspect familier, intitulé Twentysix Gasoline Stations. Il rassemble vingt-six reproductions photographiques en noir et blanc de stations-service de l'Ouest des États-Unis, avec pour seul texte de brèves légendes. Signé du peintre californien Edward Ruscha et édité par lui, il est exemplaire d'un nouveau genre dans les arts plastiques, le livre d'artiste. En rupture avec la tradition bibliophilique du « livre illustré » ou du « livre de peintre », faits à la main et dans lesquels un artiste associe ses gravures au texte d'un écrivain, le livre d'artiste a pour seul auteur un artiste, qui choisit de faire œuvre sous la forme du livre moderne. Le livre d'artiste se présente donc comme un livre d'apparence ordinaire, de format modeste, imprimé à l'aide de techniques contemporaines telles que l'offset, en édition la plupart du temps non limitée. » remarque Anne Moeglin-Delcroix25. Ce qui importe ici n'est donc pas la qualité de l'impression, du papier, de la technique de gravure, mais bien l'intervention directe de l'artiste dans la conception du livre. Ces livres « à l'américaine », classés parfois péjorativement en tant que « livres de photos », furent parfois considérés un peu vite comme un petit épisode dans l'histoire du livre d'artiste : avec le recul, Ruscha et d'autres, ouvraient en réalité tout un champ de la création. Artist's book : un concept assimilé[modifier | modifier le code] L’artist's book est devenu depuis les années 1970 un genre et un mode d'expression et pas seulement américain : chaque année émergent de nombreux titres, publiés soit par le biais de maisons d'éditions spécialisées, de centres d'art ou d'institutions, soit par directement les artistes eux-mêmes pour leur propre compte. S'il est difficile de cerner l'état de la production artistique actuelle, elle est néanmoins extrêmement vivante, favorisée bien entendu par les nouvelles techniques d'impression numérique et l'autoédition. De nombreuses manifestations et expositions témoignent de cette production26. Le salon de la FIAC aura même ouvert une section à ce type de production au début des années 2000. Il existe par ailleurs des rééditions (reprint) de productions célèbres27, comme celles de Richard Long, Lawrence Weiner, Herman de Vries, Peter Downsbrough, Germano Celant, etc. Le livre d'artiste en France[modifier | modifier le code] Très ancrées dans une tradition moderniste née au tournant des années 1900, l’« édition de création »15 a trouvé un nouveau souffle dans lesannées 1980, parfois soutenue par des artistes, des poètes, des chercheurs et des institutions. Ce sont d'abord les poètes qui trouvent dans le livre d'artiste un espace à partager avec les plasticiens, créant de fait un lieu de rencontre privilégié : « Pour collaborer, peintres et poètes se veulent libres. La dépendance abaisse, empêche de comprendre, d’aimer », écrit Paul Éluard28. Ainsi, des auteurs comme Michel Butor, Andrée Chédid,Jacques Kober, René Pons ou Bernard Noël (qui a lui-même réalisé des illustrations), pour ne citer que quelques-uns, ont collaboré avec des peintres ou des graveurs à la réalisation d'un grand nombre de livres d'artiste. La révolution numérique a bien entendu bousculé cette approche traditionaliste, encore très appuyée sur la notion de bibliophilie et sur le marché de l'art. L'artiste non seulement conçoit le livre et l'écrit (et plus seulement en mot) mais le produit et le diffuse via Internet, en plus d'un circuit de librairie ou lieux spécialisés. Les notions anglosaxonnes de free press, de small press rejoignent en France celle de l'édition indépendante, lesquelles assurent au livre d'artiste un territoire des possibles. En résumé, le livre d'artiste demeure un espace de liberté pour les créateurs quels qu'ils soient. Institutions publiques en France[modifier | modifier le code] Non exclusive à la France (cf. le rôle pionnier de l'ICA à Londres), les aides publiques permettent de valoriser le livre d'artiste de de constituer des collections consultables, de financer des recherches voire des créations et des manifestations. Ces pôles constituent des réserves riches en livres d'artiste et pas seulement français. Donnons comme exemple :
Fonds privés & associations en France[modifier | modifier le code] Par ailleurs, des ateliers et centres d'arts contemporains associatifs, appuyés plus ou moins sur des institutions locales, ouvrent des lieux spécialement dédiés au livre d'artiste et s'occupent également d'organiser des événements récurrents :
Le livre d'artiste en Belgique[modifier | modifier le code] L'art et le livre nourrissent depuis près de deux siècles en Belgique une importante production. Deux institutions sont particulièrement ouvertes aux livres d'artiste : le Musée royal de Mariemont et la Bibliothèque royale de Belgique. La ville de Bruxelles possède une bibliothèque privée dédiée aux livres d'artiste (Bibart39) et un salon organisé par un collectionneur, "Histoires de livres"40. Près de Bruxelles se trouve aussi une bibliothèque du Musée de la Reluire et des Arts du livre, Wittockiana, possédant une collection prestigieuse des livres d'artistes et de la reliure 41. |
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![]() | «Diaspora d’Afrique / Benin Art Royal» du Musée du Quai de Branly situé 222, rue de l’Université | ![]() | |
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