Une benjamine gâtée
Retour à la table des matières « La fillette est âgée de onze ans ; le père est retraité des chemins de fer, la mère s'occupe de son intérieur. La mère aurait eu quatorze enfants dont sept sont vivants. Pétronille est la benjamine. » Nous avons une opinion bien définie, en ce qui concerne la structure caractérielle du benjamin. Vous connaissez certainement tous l'histoire du Joseph de la Bible qui aurait bien voulu que le soleil, la lune et les étoiles s'inclinent devant lui et qui raconte ce rêve dont le sens est très bien compris par ses frères. Ils mettent le frère dans un sac et le vendent. Cette légende est très instructive. Plus tard Joseph devient l'appui de toute la famille, voire de tout le pays et il sauve toute une population. Le benjamin! Vous constaterez souvent que, d'une façon ou d'une autre, le benjamin devient une personnalité, dans le bon sens ou dans le mauvais sens, personnalité souvent précieuse et puissante. Nous ne savons rien de précis sur le sexe et les rapports de ces quatorze enfants. Nous pouvons établir que le benjamin est souvent particulièrement gâté, étant donné que les parents se réjouissent beaucoup d'avoir pu procréer, encore à leur âge, cet enfant (à moins que cela les contrarie). Le benjamin grandit dans une ambiance tout autre que les autres enfants, étant donné qu'il est le seul qui n'ait pas de successeur. D'où sa situation relativement privilégiée. Quant aux autres, ils vivent cette tragédie qui consiste à voir leur place prise par un autre enfant. Pareille tragédie est épargnée au benjamin et ce fait se manifeste aussi dans son attitude. Le benjamin ne sent personne derrière lui, il est dégagé du dos. Du questionnaire nous tirons les données suivantes « Elle travaille volontiers par période, puis le zèle diminue. » Lorsque vous voyez pareille instabilité dans l'activité d'un écolier, vous pouvez avec certitude conclure qu'il s'agit d'un enfant gâté. Pareil enfant n'avance que sous conditions : lorsqu'il ne doit pas déployer un effort pour produire, lorsque facilement il réussit quelque chose. Si l'atmosphère chaude et agréable disparaît, son rendement diminue. D'après le livret scolaire nous pouvons diagnostiquer si tel écolier est un enfant gâté. Tout comme un bon médecin-praticien nous sommes capables de diagnostiquer ce type de l'enfant gâté. « L'enfant préfère l'écriture, le dessin, les travaux manuels. » Cet enfant est habile de ses mains. Cela peut avoir son origine dans un entraînement manuel de longue date. Du fait que dès sa première enfance il a présenté une tendance à s'occuper manuellement nous pouvons aussi conclure qu'il est peut-être gaucher, qu'il a compensé les difficultés et qu'il a particulièrement bien entraîné sa main droite. Mais cette deuxième hypothèse est à considérer avec circonspection, elle est facile à confirmer ou à infirmer. « La mère défend la mauvaise conduite de l'enfant. » Ici nous trouvons une mère qui défend l'enfant, même si la critique est justifiée. Nous obtenons ainsi la confirmation que cet enfant est gâté. « L'attention est facile à éveiller. » Cela nous indique que l'enfant s'intéresse à tout, qu'il voit et entend tout et qu'il présente un vif intérêt pour la vie. Il s'agit d'un enfant qui n'a pas perdu le courage, qui ne recule pas, qui n'est pas renfermé mais qui cherche le contact avec le monde extérieur. Nous retrouvons ici une activité sociale qui se meut peut-être sur un terrain spécial en rapport avec des choses futiles, mais la base est donnée. « Elle essaye de détourner l'attention des autres en dérangeant. » Il nous faut comprendre que cette enfant est toujours préoccupée de gêner l'enseignement. Cela ne nous surprend pas, car nous savons que pareille enfant gâtée, pourvue d'un certain dynamisme, donnera libre cours à sa tendance dominante : s'arranger toujours de façon à devenir le centre d'intérêt de son entourage; malheureusement le plus souvent du côté inutile de la vie. Elle ira d'ailleurs dans ce sens assez loin étant donné qu'elle trouve chez sa mère l'appui nécessaire. « Compréhension remarquable. » Le moindre doute quant à l'intérêt éveillé de cette enfant disparaît donc. Je ne serai pas étonné qu'à l'occasion d'un examen de l'intelligence le niveau intellectuel se trouve au-dessus de la moyenne. « Observe d'une façon indépendante et juste les événements de la vie journalière. » Il se confirme que cette enfant dispose d'un potentiel d'activité qui la pousse à s'occuper de tout et à prendre position en face des problèmes d'une façon raisonnable. « Représentation claire, enfant douée, sens critique. » Nous ne voulons pas dire que son sens critique se fourvoie toujours. Si occasionnellement elle a raison, nous admettrons tout de même que cette enfant a une certaine tendance a vouloir dépasser les autres. « S'attaque courageusement à tout travail nouveau. » Nous pouvons en conclure qu'au début d'un nouveau travail elle avance d'une façon décidée. Une fois de plus son activité est mise en évidence. Le style de vie de cette enfant commence à se dessiner; nous avons l'image d'une enfant remuante qui s'intéresse au monde extérieur et qui certainement a tendance à s'élever au-dessus des autres. Lorsqu'elle se trouvera dans le milieu social de l'école, quelle sera son attitude vis-à-vis du maître? « Par moments lunatique dans son travail. » C'est la confirmation de ce que nous avons déjà dit antérieurement. « Reconnaître que son travail est réussi l'encourage vivement. » Elle présente un désir ardent d'être approuvée, elle voudrait jouer un grand rôle. « Elle est joyeuse. » Cela nous montre à nouveau un aspect de son courage, de son esprit de décision. Elle ne vit peut-être pas chez elle de journées tristes, car nous savons que sa mère la défend. « Elle aime maintenir ses décisions. » Comme ceux qui se sentent forts. « Elle détourne l'attention des autres enfants en troublant l'enseignement. » On peut supposer qu'elle veut atteindre un but, se placer au centre de l'attention. Cela ne réussit qu'en gênant l'enseignement. « Présente la tendance à diriger. » La benjamine - le petit Joseph. « Mais se montre peu douée pour le faire. » Pourquoi ne dispose-t-elle pas de ce don? Les autres enfants s'y opposent, ils ne veulent pas se laisser constamment conduire par ce petit bout de chou. Elle n'a pas encore compris comment on arrive à conduire les autres. Elle arrivera certainement à acquérir un jour ou l'autre ce don du meneur. « S'exprime bien et parle facilement. » La parole est également un moyen pour attirer l'attention sur soi-même. Vous trouvez souvent chez des enfants difficiles, chez des névrosés ou des aliénés cet amour de la parole; ces gens parlent sans cesse. Les observations précédentes proviennent de la vie de l'enfant à l'école primaire, à présent suivent des observations de l'école secondaire : « Ne se fait pas particulièrement remarquer au début. A l'occasion de la première promenade (excursion avec l'instituteur) des camarades se plaignent de pitreries et de dérangements de la part de l'enfant. » A cette occasion l'enfant savait déjà vouloir; elle veut réserver sa place. Pourquoi ne s'est-elle pas fait remarquer immédiatement? Ceci plaide en faveur du bon entraînement de l'enfant. Elle doit d'abord trouver comment le faire. « Depuis environ deux à trois semaines elle fait preuve d'une conduite inadmissible. Elle crie pendant l'enseignement, quitte sa place constamment, bouscule les autres et essaye de les déranger. » Sa conduite signifie probablement qu'elle avance dans sa tendance à dépasser les autres. Nous comprenons ce qu'elle veut obtenir par cette conduite : elle veut montrer sa puissance, elle veut arriver à la domination des autres enfants. « A l'occasion d'une rédaction, l'enfant ne travaille pas et lorsqu'on lui fait une observation elle saisit, dans sa colère, l'encrier, verse de l'encre sur ses mains, se lave littéralement les mains avec et salit le pupitre. » L'enfant dépasse la mesure et se conduit comme un vainqueur enragé qui veut montrer à tout prix qu'il est le plus fort. Étant donné que nous avons affaire ici à une enfant intelligente, nous pouvons conclure que cette enfant ne se sent pas à l'aise à l'école et qu'il faudra faire quelque chose de plus pour elle. Cette fillette nous démontre par son attitude qu'elle a perdu l'espoir de pouvoir jouer un rôle à l'école. « On appelle la mère qui, perdant dans sa colère tout contrôle, tire les cheveux de l'enfant, lui frappe stupidement la figure et lui tord les bras. » La mère elle-même a perdu son sang-froid. Nous devons remarquer que ceci n'est pas la bonne méthode pour punir le dernier dynamisme, l'ultime extériorisation de l'enfant. Celle-ci s'en réjouira, si seulement elle arrive à indisposer la mère et l'instituteur. J'ai lu dernièrement un passage dans une biographie de Rosegger où l'auteur raconte qu'il avait une joie immense lorsque, comme enfant, il pouvait indisposer son père d'une façon telle que ce dernier le battait. Plus tard, ayant compris que le père l'aimait, il changea d'attitude. L'enfant voudrait avoir l'assurance qu'il est aimé et qu'on croit en lui. Lorsqu'il ne l'a plus, il s'efforce d'agacer quelqu'un et de le pousser à bout jusqu'à ce qu'il arrive à son résultat. Cela éperonne sa force. « La directrice a de la peine à calmer la mère et elle fait retourner l'enfant rapidement en classe. L'enfant n'a pas pleuré, n'a pas crié, elle est restée ferme, » Vous voyez comment elle démontre à sa mère : « Tu es trop faible pour moi, je suis plus forte que toit » « La mère est à peine partie que l'enfant est renvoyée à la directrice parce qu'elle rend impossible l'enseignement dans la classe. » Là elle démontre aussi que rien ne l'impressionne, que « personne ne peut l'influencer ». Dans un certain sens cette enfant mérite notre admiration - elle est particulièrement forte. Si on pouvait canaliser cette puissance extraordinaire dans un sens utile, on pourrait en faire quelque chose de bien. « La directrice lui parle avec bienveillance et l'enfant promet d'être obéissante, mais tout en promettant elle n'a guère l'intention de tenir sa promesse. » L'enfant se rend compte que la directrice s'intéresse à elle avec sympathie. Elle voudrait bien rendre service à la directrice et être obéissante, niais en classe le mécanisme de son style de vie commence à jouer. Certains auteurs ont tendance à croire qu'il s'agit ici d'une ambivalence, que d'un côté l'enfant est serviable alors que de l'autre côté elle est désobéissante. Mais il ne faut pas se représenter l'âme humaine d'une façon aussi automatique. Ce style de vie mécanisé réagit évidemment suivant son schéma mais il est variable suivant la situation. Chez la directrice elle a l'impression : cette personne m'est acquise, elle m'appartient - en classe elle n'a pas cette même impression. « La directrice lui donne une fonction de confiance, celle de mettre à jour le calendrier. » C'est un moyen pour, calmer une enfant à l'école et cela a même une signification plus profonde : agir sur les enfants dont la recherche d'une supériorité peut être calmée par une fonction de confiance. Mais l'enfant voudrait plus que cette fonction, elle voudrait être plus que tous les autres enfants et nous ne croyons pas que l'enfant se calmera d'une façon définitive. « L'institutrice rentre en classe. Remarque de l'enfant comme elle a de beaux bigoudis, où pourrait-on en acheter.? » Cela signifie une hostilité franche. Il est évident que cette enfant se trouve en lutte ouverte avec cette institutrice, seule une ennemie déclarée peut parler de cette façon. « Les enfants de cette classe, âgés de dix ou onze ans, sont évidemment trop jeunes pour se désintéresser de pareilles remarques. Le dérangement continue. Au début on avait l'impression que l'enfant voulait simplement agacer cette institutrice, mais plus tard les autres y passaient à leur tour. » Il est peut-être impossible pour les autres comme aussi pour cette institutrice de fournir à l'enfant ce qu'elle réclamait et la placer tout de suite en tête de la classe. Nous voyons d'autre part que nous ne pourrons rien tirer de cette enfant si nous ne devinons pas tout de suite ce qu'elle désire, Elle nous entraînera dans cette même lutte dans laquelle elle a entraîné les autres. Ce serait une erreur que de lui reprocher ces défauts. Il faut entamer une conversation avec elle en parlant de ses qualités. La manière de faire dépend de l'individualité du conseiller, « Durant deux leçons de sciences naturelles la directrice a dû rester en classe pour que l'enseignement puisse se faire. » Sa force n'est pas suffisamment grande pour se mettre en lutte avec la directrice; avec cette dernière elle paraît d'ailleurs être en meilleur rapport. Cela peut être du respect, mais aussi de la reconnaissance pour l'avoir défendue. « L'institutrice chargea l'enfant de quelques fonctions épousseter le matériel d'enseignement, chercher l'eau, mais là aussi très rapidement elle commença à faire d'es bêtises. » Cela nous incite à réfléchir. Comme nous le voyons elle effectue d'une façon satisfaisante ce que la directrice lui demande. Si une autre institutrice la charge d'une fonction, elle l'effectue mal. Là aussi nous pouvons apprendre quelque chose : la façon d'approcher cette enfant. Comme je le vois, l'éducation moderne a tendance à placer l'enfant dans une situation agréable et on peut observer que dans cette situation un enfant se conduit d'une façon plus satisfaisante. La psychologie individuelle essaye par contre d'habituer l'enfant à ne pas perdre son équilibre, même lorsqu'il se trouve dans une situation défavorable. Si nous nous remémorons les conditions dans lesquelles se forme le style de vie mécanisé, nous voyons que ce dernier est construit de façon telle. que la mère. doit fournir à l'enfant une situation agréable, pour pouvoir gagner la confiance de l'enfant. Elle doit ensuite faire de l'enfant un partenaire social de la vie en collectivité. Nous ne pouvons pas nous soustraire à cette fonction qui incombe à la mère, nous devons commencer par là et gagner la sympathie de l'enfant pour pouvoir ensuite l'incorporer à la société. Si nous ne le gagnons pas, nous n'y parviendrons pas. « Pendant les exercices physiques l'élève se montre turbulente et quitte le rang. On l'enferme au vestiaire - elle jette des bouts de papier sur le sol, puis les robes des élèves. Il est impossible de la décider à remettre les affaires en ordre. » Toujours la même lutte. « La directrice même est obligée de lui parler longuement avant qu'elle ne se décide à enlever les boules de papiers et à faire de l'ordre. » La directrice réussit même à l'amener à faire amende honorable et à s'humilier. « Une autre fois elle réussit à échanger au vestiaire chaussures et bas de ses camarades d'étude. Une enfant ne trouve pas ses bas et on suspecte évidemment la petite H. Ni la directrice, ni l'institutrice ne supposent un instant que l'enfant aurait pu s'approprier les bas, étant donné que l'enfant est très propre et correctement vêtue. Elle ne manque certainement de rien, ni en ce qui concerne la nourriture, ni en ce qui concerne l'habillement. Le lendemain la directrice, la mère et la mère de l'enfant lésée insistèrent auprès de la petite pour qu'elle avoue où elle avait caché les bas. Mais l'enfant n'avoue rien. Après de longues recherches le concierge trouve les bas dans l'ouverture du ventilateur au-dessus du parquet; jusqu'à présent l'enfant jure ne pas avoir caché les bas. » Je dois dire que l'enfant ne présente pas de tendance à mentir. Là où nous trouvons le mensonge, nous ne trouvons pas cette activité. Car le mensonge est signe de lâcheté. Il faut être prudent dans pareilles circonstances, car il est possible qu'un autre enfant ait caché les bas. Nous pouvons imaginer à quel point cette enfant doit se sentir supérieure si, ne serait-ce qu'une seule fois, elle est suspectée à tort. J'ai vu des cas où des personnes ont exécuté de nombreux vols; pour une fois elles n'avaient pas volé, et il était cocasse d'observer quelle était leur attitude lorsqu'elles furent accusées. Elles laissèrent poursuivre l'enquête qui les rendait suspectes, et elles jouissaient de l'injustice qu'on leur faisait subir. « Comme la monitrice de gymnastique décline toute responsabilité quant à la sécurité de l'enfant et des autres élèves, la directrice assiste à la leçon. Elle déclare que l'enfant se conduit d'une façon impeccable, autant en ce qui concerne la conduite qu'au point de vue des exercices. A la leçon suivante on loue l'enfant, mais déjà elle commence à briller par des grimaces. Elle se plaint : le pied me fait mal. » Cette manière de lutte est moins brutale que celle dont nous avons entendu parler antérieurement. L'institutrice pense que si involontairement l'enfant ne s'applique pas aux exercices de gymnastiques elle devrait avoir la plus mauvaise note. D'après les renseignements de la mère, l'enfant aurait pleuré à la maison. La mère la console : «Mais ne t'en fais donc pas!» Ici nous pouvons presque parler d'une occasion manquée. Il est très difficile de trouver chez un enfant la bonne occasion pour J'amener vers une amélioration. Il n'est pas exclu que l'enfant ait vraiment souffert de son pied et qu'elle soit déjà sur le chemin de l'amélioration. C'est en réponse à sa plainte qu'on la menace de la plus mauvaise note. « Elle collabore pendant la leçon d'écriture, quoique même là elle fut envoyée à la direction pour avoir trop dérangé. » Elle semble intéressée par J'écriture, nous avons supposé qu'elle est habile de ses mains, ici elle collabore peut-être pour dépasser les autres. Nous voyons que là où elle ne peut pas atteindre ce but elle recommence à gêner l'enseignement. « Le professeur de géographie, d'histoire, de langues et de chant loue la manière dont s'exprime l'enfant et fait dans les premières semaines l'observation que l'enfant pourrait suivre les cours A (plus difficiles). » Nous apprenons que cette enfant n'est pas dans le cours A (normal). C'est une des questions les plus brûlantes de la réforme scolaire dans le monde entier. La plupart des pays se sont décidés à créer deux cours. Participent au cours A les enfants qu'on considère comme normalement développés, au cours B ceux qui donnent l'impression de se développer plus lentement. L'enseignement du cours B en tient compte. Certains allégements pour les enfants qui ne sont pas suffisamment préparés créent une situation et un enseignement plus facile. Mais il ne faut pas perdre de vue les défauts de cette réforme. Pour ma part j'ai l'impression que ces enfants du cours B auront le sentiment qu'ils sont au-dessous de la moyenne. Il n'est pas rare qu'ils entendent des injures telles que « cours d'imbéciles », etc. Certains enfants profiteront certes des avantages du cours B, mais sur d'autres les désavantages pèsent lourdement. Mes recherches au cours desquelles j'ai pu établir que dans le cours B se trouvent en majorité des enfants difficiles, pauvres, me semblent particulièrement importantes. Cela veut dire que ces enfants sont moins préparés pour l'école que les autres. Cette question n'est pas encore tout à fait résolue. Les défauts de cette institution ne sont pas entièrement éliminés. Ce qui importe à cette occasion, c'est l'opinion de l'enfant concernant ce cours B. L'institutrice lui disait aussi qu'elle pourrait suivre le cours A. Si nous saisissons bien le style de vie de cette enfant, nous pourrons supposer qu'elle se sent diminuée du fait qu'elle se trouve dans le cours B. Les désavantages du cours B doivent nous donner à réfléchir dans ce cas particulier. « Travaux manuels. » C'est un travail qu'elle doit pouvoir exécuter correctement. « Le professeur de travaux manuels raconte que pendant le cours elle injuria une des élèves qui était en train de lui déposer à sa place le matériel de travail : « Salope, sale bête, veau, et d'autres expressions qu'il est impossible de reproduire ici. Le professeur de dessin : un travail critiqué par le professeur... » Naturellement c'est pour nous un mot d'ordre, il faudra que quelque chose se passe! « Par méchanceté, l'enfant barbouille tout son dessin de couleurs et l'abîme. Le professeur essaye de la raisonner. » Résultat : « Mon père viendra et vous enfoncera l'estomac, ça vous fera passer l'envie de m'ennuyer! » « Au catéchisme : l'enfant est catholique mais ne suit pas l'enseignement religieux. Elle assiste pourtant au cours et l'abbé l'interrogea à plusieurs reprises. Une fois elle fut la seule élève capable de donner une réponse exacte à la question. Elle raconta cela joyeusement à sa mère. Au cours suivant l'abbé l'envoya à la direction parce qu'elle se montra particulièrement mal élevée. » Nous ne savons pas ce qui se passa entre les deux cours, mais là aussi une occasion s'était présentée pour gagner son attention. « Constatations de la directrice : lorsque l'enfant arriva a la direction elle se conduisit d'une façon particulièrement aimable. L'élève devait faire du calcul ou écrire, au début tout allait très bien, mais vers la fin elle dessina des « bons hommes. » A la question où on lui demandait pourquoi elle ne faisait pas ses exercices de calcul elle répondit : « je ne le peux pas! » C'est évidemment une vilaine affaire. Lorsqu'elle ne sait pas quelque chose, elle ressent un tel sentiment d'infériorité qu'elle est obligée de le compenser d'une certaine façon. « A la fonction d'honneur dont nous avons déjà parlé (mise à jour du calendrier) s'en ajoutèrent d'autres : cacheter des imprimés, servir de liaison avec les classes voisines. A cette occasion elle paraît l'enfant la plus douce qui existe et quelques minutes plus tard, malgré sa promesse de rester sage on est à nouveau obligé de la renvoyer de la classe. » L'enfant a trouvé le point d'attraction, c'est le bureau de la directrice. Si on l'en enlève et qu'on l'adresse ailleurs, elle tend à y retourner. Le mouvement s'accuse dans ce sens parce qu'elle s'y trouve dans une situation agréable. Il est possible que l'institutrice lui veuille encore plus de bien que la directrice, mais tout dépend de la façon dont l'enfant l'a compris. « L'enfant raconte : « ma mère n'aime pas les « grands », elle n'aime que moi. » Cette impression résulte du fait que la mère la gâte trop. « Souvent elle m'apporte quelque chose, mais pas des sucreries, des saucissons, du jambon ou du jambonneau seulement. » « Je voudrais devenir éducatrice. » Ce désir ne nous surprend pas étant donné que dans la personne d'une éducatrice elle semble retrouver l'image d'un maître. « Si j'avais affaire à un enfant méchant je ne ferais que le battre. » « Je dois entrer au cours de danse, ma sœur a dit que je pourrai m'en donner à cœur joie. Mais ma mère ne me laisse pas partir, elle dit qu'elle peut éduquer elle-même son enfant, qu'elle n'a pas besoin des autres. Ma place n'est pas dans la rue X, sur la liste j'étais prévue pour l'école de la rue Y. » Le terrain de l'école de la rue X. est suffisamment exploré pour elle. Elle y a montré tout ce dont elle était capable. Elle a l'impression qu'elle pourrait briller davantage dans l'école de la rue Y. Ce sont des mensonges dans le but de se vanter, de bluffer et d'impressionner les autres. « L'enfant est renvoyée au bureau de la directrice et celle-ci lui demande ce qu'elle a encore fait. Elle ne répond pas immédiatement. Après des questions et des exhortations répétées elle se décide à parler et elle raconte la vérité. Une fois elle a menti à la directrice. La monitrice de gymnastique rapporte que l'enfant soutient qu'elle lui a tiré l'oreille, ce qui l'obligea à porter un pansement. La directrice interroge l'enfant qui maintient ses dires. Elle lui explique que ses parents la croiront et demanderont des explications à l'institutrice «'enfant annonce d'une façon menaçante la visite du père); celle-ci se plaindra et les parents seront punis pour l'avoir offensée. A ce moment l'enfant avoue s'être querellée avec sa sœur qui l'avait frappée sur l'oreille, ce qui a nécessité ce pansement. » Ce mensonge est un mensonge de lutte. Elle voulait «mettre dedans » l'institutrice. Nous ne pouvons pas parler ici d'une habitude de mensonge par lâcheté. Ce n'est pas un mensonge, c'est une médisance. « Une autre fois l'enfant mentit encore : la mère avait fait demander que l'on plaçât sa fille au dernier rang pour qu'elle ne dérangeât pas les autres. Cela fut fait. Le lendemain l'enfant arriva avec des lunettes en criant qu'elle ne voyait pas du dernier rang et qu'elle devait être placée au premier rang. Le médecin se trouvant par hasard sur place examina l'enfant; mis au courant du cas, il rassura la fillette et lui dit que ce n'était qu'une question de nervosité et qu'elle pourrait travailler tranquillement au dernier rang. Après une enquête plus serrée, et non sans avoir louvoyé un certain temps, la directrice arrive à faire avouer à l'enfant qu'il s'agit des lunettes de sa mère. L'opinion de la mère, à propos de l'histoire des lunettes, était tout autre. » « Les parents donnent l'impression d'avoir compris que l'enfant est mauvaise et ils avouent ne pas savoir comment agir vis-à-vis d'elle. Le père raconte que la mère soutient l'enfant; la mère dit que les autres enfants plus âgés repoussent souvent la fillette et qu'elle-même est la seule âme sur laquelle l'enfant puisse compter. » Voilà une fois de plus le problème de Joseph. C'est la même explication que nous retrouvons ici. Pour finir voici quelques renseignements qui complètent la description : « Compte rendu de la monitrice - pendant certaines leçons l'enfant se conduit d'une façon impeccable, puis elle recommence à gêner l'enseignement; la plupart du temps ses cahiers sont en désordre, mais elle apporte ses devoirs et ses exercices d'une façon satisfaisante; elle aime être interrogée. » « Pendant la leçon de chant elle est incapable de s'accorder avec les autres, elle chante plus vite ou plus lentement et se réjouit d'une façon manifeste si elle peut nous gêner. » « Sont particulièrement flagrants son manque d'affection, voire même la joie avec laquelle elle torture ses camarades d'étude et sa tendance à vouloir toujours jouer le premier rôle. » Cela est suffisamment significatif. « La prétention, l'arrogance, la présomption, la méchanceté et le mensonge. D'une façon générale elle semble en ce moment plus calme, sa méchanceté a un peu diminué. » Une légère amélioration semble se manifester depuis peu. « La monitrice de travaux manuels raconte : elle s'assied sur une chaise et se promène ainsi en la traînant à travers la salle; lorsque la monitrice la menace d'en parler à ses parents, elle répond : ça leur est égal, je n'ai pas peur, même pas si le maire venait! » « A la leçon suivante, elle imite le chant des oiseaux et attire l'attention de la monitrice sur son talent. » « Elle travaille à ses devoirs d'arithmétique sans renoncer, il faut le dire, à l'aide permanente de l'institutrice. » Elle veut avoir constamment quelqu'un à sa disposition, c'est le trait de l'enfant gâté. « Une fois elle faisait un tel tapage au début du cours qu'il était impossible de continuer l'enseignement; elle courait dans la salle, frappait les enfants, les insultait. A un certain moment elle cria : Je te plante un couteau dans le ventre! Elle ne collabora pas davantage ultérieurement; elle disait : « Cela je ne le peux pas. » Ceci a la même signification : Je dois donc gêner les autres. Si je ne peux pas jouer le premier rôle, alors je ne peux pas en jouer d'autres.
Examen de l'intelligence
Retour à la table des matières D'une façon générale au-dessus de la moyenne, en avance sur son âge. Représentation très bonne. Définitions légèrement défectueuses. Dans la connaissance des choses, légèrement en retard, bonne en questions pratiques, semble être préoccupée par les travaux du ménage. Mémoire légèrement au-dessous de la moyenne. Dr A : Il serait de la plus grande importance, pour une enfant de ce genre, de la placer dans une maison qu'on pourrait appeler maison de convalescence. Je considère une telle institution comme un complément indispensable à nos consultations et je réclame cette institution depuis longtemps. Cette maison devrait être dirigée par des pédagogues et des psychologues qualifiés. Nous nous efforçons de modifier le style de vie erroné de cette enfant avec l'aide des parents et des instituteurs. Il est impossible de changer cette enfant en dix minutes. Il serait particulièrement favorable que l'on n'abandonnât pas entièrement cette enfant à sa mère et que quelqu'un s'en occupât pour lui montrer les possibilités de se faire remarquer d'une façon utile. (En s'adressant à la mère) : Nous voudrions bien vous aider et aider l'institutrice. Savez-vous que dans le fond cette enfant nous plaît? Elle est très décidée; mais peut-être ne se plaît-elle pas à l'école? La mère : Elle devrait fréquenter l'école de la rue Y. Dr A : Pourquoi préfère-t-elle cette école? La mère : Elle croit qu'elle n'a pas été affectée à cette école parce qu'elle est très mauvaise élève. Dr A : Comment se comporte-t-elle à la maison? La mère : Elle est la plus petite, les plus âgés la taquinent. J'ai eu quatorze enfants... Dr A : Je vous félicite! La mère : Une bouche de plus à nourrir ne compte pas. Les aînés la jalousent et ne l'aiment pas. Dr A : A-t-elle des amies? La mère : Oh oui! Dr A : Nous avons confiance en cette enfant, nous croyons que c'est une fillette capable. Elle veut toujours jouer le premier rôle. La mère : Elle s'est souvent plainte du fait que l'institutrice ne l'interrogeait pas. A la maison elle est gentille, elle m'aide souvent. Dr A : Comment fut son éducation? a-t-elle été sévère? La mère : Il faut toujours être sévère avec les enfants. Dr A : Je crois que si on expliquait les choses à cette enfant, cela irait aussi. La mère : Ça ne marche pas sans punitions. Dr A. : Moi je pensais que si on pouvait trouver quelqu'un ici qui comprenne cette enfant, qui se promène avec elle, qui lui donne de meilleures idées, bref si cette enfant avait un peu de société, cela lui serait utile. Si vous y consentez, je veux bien lui envoyer une de mes élèves. La mère : Elle a déjà fréquenté une « amicale d'enfants ». Dr A : J'aurais préféré qu'elle fût sous l'influence de cette jeune fille, en dehors de l'école. Elle pourrait apprendre quelque chose d'utile auprès d'elle. La mère : Je crois que j'ai bien élevé mes autres enfants, il me semble que j'arriverai aussi à élever celle-ci. Dr A : La petite voudrait bien jouer le rôle le plus important. Vous souvenez-vous encore de l'histoire de Joseph? Si actuellement l'enfant manifeste de telles difficultés à l'école on ne pourra rien obtenir par des coups. Soyez toujours aimable. Si vous acceptez, dites-le-nous et nous vous enverrons la jeune fille. La mère : Ce qu'elle fait à l'école elle ne le fait que pour plaisanter, vous avez là-bas des enfants plus distingués qui sont plus susceptibles. Dr A : (après le départ de la mère) : Vous voyez ici l'aversion des gens en face de nos conseils. Il nous faut attendre pour le moment. (S'adressant à l'enfant) : Quelle grande fille! J'ai cru qu'elle était beaucoup plus petite. Tu voudrais toujours paraître plus grande, tu aimerais te mettre sur la pointe des pieds pour que chacun puisse t'apercevoir. Cela se voit souvent chez les benjamins, ils veulent toujours se faire remarquer. Tu es une bonne élève, capable, et j'ai entendu dire que tu es une enfant intelligente. Ne crois-tu pas que tu pourrais briller par tes connaissances pendant les cours? Si tu y réussis, tu réussiras aussi dans ce que tu désires. Alors tout le monde t'estimera et t'aimera. Ne devrais-tu pas l'essayer immédiatement pour faire plaisir à ton institutrice? Alors, tout le monde te respecterait. Crois-tu que tu puisses y arriver? L'enfant (se tait pendant tout ce temps). Dr A : Tu pourras devenir une des meilleures élèves; qu'en dis-tu ? Est-ce que ce ne serait pas bien? La lutte que tu mènes devrait cesser ici, ça serait plus joli. Il faut toujours te souvenir de cela : Je ne suis pas obligée de me trouver toujours au premier plan et de me faire remarquer; il est plus joli de bien travailler pour qu'à la fin on m'aime, mais ceci ne doit pas forcément arriver dès le début. Combien d'élèves y a-t-il dans ta classe? L'enfant : 32. Dr A : L'institutrice ne peut pas faire avec toutes les élèves ce qu'elle fait avec toi. Veux-tu essayer de l'aider un peu? Je t'avertis que cela n'est pas facile, mais je crois que tu y arriveras. Reviens dans un mois, je me renseignerai pour savoir si entre-temps tu as pu réussir ou si tu persistes à rester le centre d'attraction de ta classe. L'enfant (aucune réponse). Dr A (après avoir renvoyé l'enfant) : Dans le fond c'est une âme tendre, on aurait pu la faire pleurer. Il faut évidemment attendre pour voir ce qui se passera. Je dois attirer votre attention sur un détail technique. J'ai acquis la conviction que faire paraître un enfant devant une réunion de gens a une bonne influence. Ceci signifie pour l'enfant que ses difficultés ne sont pas une affaire privée puisque cela intéresse aussi des étrangers. Peut-être son sens social est-il mieux éveillé par là. Je répète toujours : Je me renseignerai pour savoir comment vous vous êtes comporté. Ce n'est pas une menace, c'est une certitude de l'attente que je voudrais faire comprendre à l'enfant. Dans notre méthode il y a un côté artistique qui ne se laisse pas saisir d'une façon scientifique. Si je touche le point sensible, l'enfant me comprendra certainement et ce fait de le placer dans la société en est un élément capital. Là aussi on peut formuler des objections, par exemple que ceci pourrait rendre l'enfant vaniteux lorsqu'il s'apercevra qu'on s'occupe de lui, ou bien que ceci l'impressionne beaucoup. On peut y remédier par la manière dont on parle à l'enfant. C'est se conformer à l'esprit de notre temps que de formuler des objections et ne rien faire.
Chapitre V |