Faible d'esprit ou enfant difficile ?
Retour à la table des matières Il est extrêmement important que nous nous fassions une idée par nous-mêmes sur le cas, avant d'avoir vu la mère ou l'enfant. Je vous exposerai l'histoire du cas en question et vous verrez comment je m'efforce de tirer des conclusions du moindre renseignement : « Lorsque, à l'automne de 1925, B. arriva dans un jardin d'enfants, il était l'enfant le plus négligé et le plus arriéré, physiquement comme intellectuellement, que l'on puisse imaginer. » Nous pouvons en déduire que personne ne s'est occupé de lui. C'est le propre du développement intellectuel ; il faut qu'un enfant se trouve obligatoirement en rapport avec quelqu'un qui lui permettre d'exercer son esprit. « Il était sous-alimenté, mal soigné, insuffisamment vêtu et manquait de chaussures quoique l'hiver fût déjà très avancé. » Il s'agit probablement d'un enfant issu d'une famille très pauvre. « Il était également très arriéré intellectuellement et pouvait à peine parier. » Le développement du langage de l'enfant ne peut se faire que dans le rapport social. Si un enfant manque de ce rapport, son langage ne saurait se développer. Nous, devrons aussi nous demander si cet enfant n'est pas faible d'esprit. Ceci n'est qu'une supposition et il faut continuer nos recherches avec prudence, car si nous émettons un tel diagnostic, c'en est fini avec cet enfant. C'est une erreur impardonnable que d'appeler faible d'esprit un enfant qui ne l'est pas. « Lorsqu'on lui adressa la parole il se cacha et commença à crier et à se débattre. » Si quelqu'un cherche à se lier avec lui il s'en défend. Il donne l'impression d'appartenir au troisième type d'enfants, ceux que l'on n'a pas désirés, les illégitimes ou les infirmes. Vous voyez qu'il considère son entourage avec hostilité. « Il était très lâche... » Il n'y a de courage dans un être que là où il se sent chez lui. « Il attaqua les enfants tout en veillant à ne pas l'être par eux. « Il avait besoin d'aide au moment des repas et attendait toujours qu'on l'alimentât. » Il faut accueillir ce renseignement avec réserve. Ce sont généralement les enfants gâtés qui présentent des difficultés pour absorber leur nourriture. Mais il est possible qu'il s'attende même ici à une attitude hostile. On peut en effet prendre la peine de donner à manger à un enfant qu'on n'aime pas pour en finir plus vite avec lui. Ainsi il n'apprend pas à manger. « Mais il refusa souvent la nourriture bien qu'ayant faim. » Cet enfant se conduit comme en territoire ennemi. Mais il faut examiner attentivement s'il ne présente pas des signes de faiblesse d'esprit. « Ce n'est qu'après une scène, dont l'entourage ne tint d'ailleurs aucun compte, qu'il se calma et absorba avidement la nourriture. » C'est donc qu'il ne mangeait pas tellement mal. « C'est un enfant légitime. Il a appris très tard à marcher et à parler, mais jusqu'à présent il n'a pas encore su s'exprimer correctement. » Nous comprenons ses difficultés en ce qui concerne son langage. Quant à la marche il nous faut penser là à des difficultés organiques. Peut-être sa dentition était-elle en retard. Ce défaut fait partie du même tableau de maladie. « Il occupa beaucoup son entourage... » Il ne peut commander que s'il trouve quelqu'un à sa disposition, Remarque étonnante. Son apparence négligée résulte peut-être du désespoir des parents et sans doute y avait-il, dans son entourage, une personne qui s'était occupée de lui. Une grand-mère peut-être, une tante, une sœur aînée, dont il pouvait disposer dans une certaine mesure. Dans ces conditions nous pourrons tirer notre conclusion et comprendre son attitude au jardin d'enfants. Si notre conception ne se confirme pas, nous la modifierons -volontiers. « ... et se révolta contre lui à la moindre occasion. » Il est probable que son entourage ne l'a pas traité avec beaucoup de dureté. S'opposer est un moyen de lutte et devant un entourage particulièrement puissant, un enfant ne se révolte pas. Peut-être était-il auparavant dans un milieu où il était entouré d'une certaine affection, ce qui ne fut plus le cas par la suite. Il faut nous en souvenir pour pouvoir continuer nos recherches. « Il donnait des coups de pied, se roulait à terre, hurlait et frappait tout ce qui s'offrait à lui. » Cette constatation vient encore renforcer l'hypothèse d'un entourage qui aurait changé au détriment de l'enfant. Il est probable qu'il y a eu là changement de situation. Notre supposition se confirme : d'abord gâté, il fut négligé ultérieurement, ce qui l'a rendu sauvage et hostile. « Il mouille constamment son lit. » Il est probable qu'il veut occuper quelqu'un de sa personne et qu'il a tendance à se faire remarquer d'une façon désagréable. « ... et ronge ses ongles. » Chez les enfants têtus vous retrouvez cette habitude. On leur dit constamment de ne pas ronger leurs ongles et c'est en persistant qu'ils démontrent leur opposition. « Son avidité était telle aux repas que parfois il dérobe quelque chose aux autres enfants, au goûter. » Il n'a pas un grand sentiment social et ce fait se manifeste également par ses gestes. « Il était très rachitique et très arriéré intellectuellement. » Cela est une confirmation. « Il n'était pas sociable, ne s'entendait avec personne. » Cela correspond aussi bien au type de l'enfant gâté qu'à celui de l'enfant détesté. « Il torturait bêtes et gens. » Pareille attitude, vous la retrouverez chez les deux types cités. Ils veulent démontrer leur puissance. « Il écrasait les mouches avec joie. » Vous voyez le fort en face du faible. « Il voulait toujours être le premier. » Notre opinion émise au début se confirme. Ses parents se trouvaient peut-être antérieurement dans une meilleure situation, et celle-ci a changé ; depuis il manque d'amour et de la chaleur de l'affection. « Toujours préoccupé de commander, s'il n'y réussissait pas, il frappait ses camarades, renversait tables et chaises, se jetait sur le sol et n'écoutait aucun conseil bienveillant. » Ce sont les traits de caractère d'un enfant gâté qui veut toujours se trouver au centre de l'attention. « Maintenant il fréquente volontiers le jardin d'enfants et s'efforce d'avoir toujours sur lui le mouchoir dont je lui ai fait cadeau. » lu commence déjà à s'adapter, signe qui nous permet de conclure qu'il s'est déjà lié avec la jardinière d'enfants. Nous voyons que celle-ci a su le gagner et recréer la situation agréable dans laquelle il a été gâté. Il se traduit à lui-même cette impression : « Te voilà dans la situation agréable vers laquelle tu tends toujours. » Désormais son intérêt doit être éveillé pour d'autres choses qui ne lui ont pas réussi jusqu'à présent. « Il s'intéresse à ce qu'on lui montre ici. Il est heureux si on l'occupe beaucoup, par exemple à nourrir un oiseau, arroser des fleurs, balayer, aider les plus jeunes à mettre leurs chaussures, etc. » Notre supposition selon laquelle il pourrait s'agir d'un enfant faible d'esprit commence à être ébranlée. Il s'adapte probablement, se lie à la jardinière d'enfants et agit d'une façon sensée. Le diagnostic de faiblesse d'esprit me semble insuffisamment motivé et ne mérite pas d'être retenu. « Sa situation familiale est on ne peut plus triste. Son père est mort de la tuberculose, sa mère est ouvrière et ne se préoccupe pas de son éducation. » Où se trouve la personne qui l'a gâté? Peut-être était-ce le père avant sa mort? « Elle vend les affaires de l'enfant, ainsi le manteau d'hiver, les chaussures, etc., que nous lui avons donnés et elle nous le renvoie couvert de haillons. » Représentez-vous la situation de cet enfant détesté, élevé sans amour et sans chaleur (presque au sens propre étant donné qu'elle vend son manteau d'hiver). « C'est le benjamin ; les autres sont des garçons de dix, quinze et dix-neuf ans. » Voilà qui nous permet de supposer que peut-être, parmi ces enfants, l'un d'eux se serait occupé particulièrement de lui. En ce qui concerne son développement, nous devons tenir compte de sa situation de benjamin. Si nous retenons le fait qu'il a été gâté, il est certain que, comme benjamin, il disposait d'une certaine puissance. Il a trois chefs de file et il veut les imiter. Mais il ne veut pas que d'autres disposent de plus de pouvoir et il voudrait se trouver au premier plan, être en tête, être plus que les autres. « Il pleure souvent mais seulement lorsqu'il manifeste son opposition ou lorsqu'il est en colère. » Pleurer est une arme particulièrement efficace. Si les enfants remarquent qu'ils ne nous font aucune impression en pleurant, ils s'arrêtent. Lui s'en sert pour se faire valoir. Un couple sourd-muet avait un garçon qui parlait et entendait bien. Lorsqu'il se blessait, il pleurait, mais sans le moindre bruit. Les larmes coulaient sur ses joues mais on n'entendait aucun son. Nous comprenons fort bien cela puisque le garçon savait que le bruit n'avait aucun effet sur ses parents. Nous trouvons toujours l'empreinte de l'entourage. « Ses jeux préférés sont la gymnastique et la construction. » Cet enfant n'est probablement pas tellement maladroit, ni arriéré. « Ses histoires préférées sont : « Rumpelstilzchen » et « La belle au bois dormant. » Chercher à tirer des conclusions d'histoires de ce genre est une occupation féconde. Dans la première il est question d'une ruse déjouée par une autre ruse. Le choix de « La belle au bois dormant » nous paraît plus compréhensible. Il aime sans doute cette histoire parce qu'elle exprime en quelque sorte l'espoir de s'assurer un certain succès par une bravoure particulière. Je crois que cette matière doit être explorée à fond dans le but d'établir quels sont, dans ces histoires, les éléments qui impressionnent particulièrement les enfants. Si nous connaissons bien notre garçon nous pourrons mieux comprendre pourquoi il a préféré ces deux contes. « Il rêve souvent tard dans la journée. » Si je dois comprendre cela comme la construction, par l'enfant, de quelques rêves diurnes, ce mouvement nous rappelle la « belle au bois dormant » qui dort elle aussi. Peut-être trouverons-nous un fil conducteur susceptible de nous aider à mieux comprendre cet enfant. « Il y a quelque temps encore il s'endormit par faiblesse, ce qui laissa craindre qu'un jour il ne se réveille pas. » Peut-être cette faiblesse était-elle en rapport avec l'idée de « la belle au bois dormant ». Je peux imaginer que pareil enfant soit plus intéressé que d'autres par le sommeil, lorsqu'il a été passionné par une histoire comme celle-là. « Apparemment cet enfant a été martyrisé. » La mère n'est probablement pas avare de coups. « Il se sent partout repoussé et réclame l'attention des autres. » Ce trait ne se voit pas chez l'enfant martyrisé qui tourne le dos et essaye toujours de s'esquiver. C'est l'enfant gâté qui réclame toujours de l'attention. « Les louanges sont tout pour lui. Lorsqu'on lui dit : « Allons B., tu es un brave garçon! » ses yeux brillent et, pour un moment, tout va bien. » C'est le caractère d'un enfant gâté. Dans une telle situation, il se sent à l'aise ; elle est le but de sa vie, de ses tendances. « S'il a entrepris une occupation, il la mène jusqu'au bout. et si on le loue il ne demande qu'à la recommencer. » Voilà le fil par lequel vous pouvez faire agir ce garçon, Il travaille, d'abord parce qu'il arrive dans la situation où on le loue et où on l'aime. Il faut utiliser cette situation et continuer à lui faire comprendre qu'il doit se rendre utile, cela en s'abstenant de louanges immédiates. Il ne faut pas le louer immédiatement, il suffit de lui dire : si tu le fais de telle et telle façon ça sera très bien. « Il se conduit comme un enfant de deux ans, fait le sot ou le bébé pour qu'on puisse le caresser et le gâter. » Vous verrez souvent des enfants gâtés ou même des adultes se conduire comme des bébés en zézéyant par exemple comme de petits enfants. Ils regrettent cette ancienne situation et voudraient revenir à cette époque où ils se sentaient aussi bien qu'au Paradis. Il est probable qu'on a gâté ce garçon pendant sa maladie. Au cours de celle-ci on constate des manifestations graves où on ne peut faire autrement que de gâter l'enfant. De là vient son besoin de se faire gâter et ses tendances à se faire louer et aimer. Il vit de cette façon, sans le savoir et sans s'en rendre compte. On pourrait donc tout obtenir par des explications. « Il parle très mal. Il est bien conformé, mais ses oreilles coulent de temps en temps. » Il s'agit probablement d'une otite moyenne non encore guérie. S'il n'a pas été profondément touché par cette maladie, il se pourrait qu'il présentât une plus grande sensibilité pour l'audition et la musique étant donné que son ouïe est probablement plus fine que dans la moyenne des cas. Nous en avons une confirmation dans cette sérieuse maladie de sa première enfance. Tous les enfants ne font pas d'otite moyenne. Nous pourrons peut-être lui révéler un nouveau domaine par cette épreuve. On pourrait le rapprocher de la société par le moyen d'une chorale ou par la musique. « Il est en retard intellectuellement et se présente comme un enfant de trois ans. » Le garçon qui veut toujours jouer à l'enfant de trois ans et donne l'impression de manquer d'intelligence, alors qu'il a déjà cinq ans, pourrait peut-être laisser supposer qu'il est faible d'esprit; mais il faut le soumettre à des épreuves sérieuses avant de conclure. « D'une façon générale il ne réagit que vis-à-vis de personnes auxquelles il est habitué. » Trait de caractère d'un enfant gâté. « Ses rendements positifs ne sont notables que dans le domaine physique, car c'est la gymnastique normale ou rythmique qui est son occupation favorite, et là il arrive à des réussites brillantes. » Je ne me permets pas encore de conclure. Nous entendons rarement parler chez les enfants faibles d'esprit de réussite en gymnastique et en rythmique. Mais réussir un mouvement systématique de gymnastique, arriver à des réussites brillantes nous indique un don de la combinaison dont ne dispose pas un faible d'esprit.
Chapitre IX Une ambition qui se fourvoie
Retour à la table des matières L'institutrice nous expose le cas suivant : « M. est âgée de neuf ans et fréquente la quatrième classe. Elle est la plus jeune de cinq enfants. Ses frères et sœurs sont respectivement âgés de 25, 23, 15 et 14 ans. L'aînée, déjà mariée, a un enfant âgé de quelques semaines. En tant que benjamine, jolie et agréable, M. fut particulièrement gâtée par ses parents et par ses frères et sœurs. Son éducation et sa surveillance furent confiées avant tout à ses frères et sœurs car les parents travaillaient toute la journée. Le père est employé dans une maison de commerce et il est absent de la maison de sept heures du matin à six heures du soir. La mère est corsetière et elle est également occupée toute la journée. A son entrée à l'école, l'enfant se fit remarquer dans sa classe d'une façon désagréable par ses bavardages, par sa vivacité exagérée, son attitude arrogante, son insensibilité, ses tendances à se quereller et sa sauvagerie. L'institutrice de la première classe la cite souvent comme « une enfant terrible », mais très intelligente, et, selon son humeur, tantôt très travailleuse, tantôt très paresseuse. « Moi qui connais l'enfant depuis la seconde classe, je ne peux pas parler de fainéantise. Au contraire, elle travaille d'une façon parfaite, est assez forte en rédaction, son imagination est vive, elle s'exprime bien, récite bien, présente une belle écriture et insiste sur la propreté, résultat de sa coquetterie il faut bien le dire. Elle aime beaucoup se faire admirer. Lorsqu'elle aura particulièrement réussi un devoir, elle viendra certainement avant la classe me montrer son cahier et remarquera avec fierté : « Voilà, c'est moi qui ai écrit ça. » Elle se réjouit lorsqu'on la loue. Elle s'attaque au travail d'une façon habile et courageuse, en gymnastique, elle est très bonne et pleine de bravoure. Elle a appris elle-même à aller à bicyclette et à nager; elle désire actuellement des patins pour apprendre, cette année, le patinage. Telles sont ses qualités. « Mais sa tendance à la valorisation et particulièrement forte, elle exige sans cesse qu'on la remarque, chose impossible dans une collectivité de trente enfants. Elle gêne alors l'enseignement en coupant la parole aux autres, sans pouvoir se dominer, quoiqu'à plusieurs reprises elle ait été réprimandée à ce sujet. Elle ne peut pas davantage maîtriser sa curiosité. Lorsque je signale à une autre élève une faute dans son cahier, elle quitte sa place pour prendre connaissance, elle aussi, de la faute de sa compagne. Ce qui est interdit l'attire particulièrement. L'année dernière la directrice s'opposa à tout déguisement avant le mardi gras car les enfants de la première classe, voisine de celle-ci, auraient pu s'effrayer. Le lendemain, pendant la récréation, M. alla aux W.-C. et quelques minutes plus tard se précipita dans la classe, déguisée en diable, brandissant une verge, bousculant les enfants en hurlant. Je la réprimandai et lui demandai si elle n'était pas au courant de l'interdiction de se déguiser : je n'obtins pas de réponse. Elle agit toujours de cette façon lorsqu'on l'interroge. Il est à remarquer qu'elle ne peut jamais regarder quelqu'un droit dans les yeux. Elle laisse apparaître les signes d'une grande inquiétude si, pendant le cours, je la regarde un certain temps. Alors elle détourne les yeux d'une façon gênée, jetant par moments un regard timide dans ma direction pour savoir si je la regarde encore. Disons en passant qu'elle n'est pas malhonnête. La mère dit aussi que l'enfant ne ment jamais. Son besoin de valorisation se manifesta d'une façon frappante par l'événement suivant : L'année dernière l'inspectrice assista à un cours de chant que suivait ma classe. A plusieurs reprises déjà, par mesure disciplinaire, M. avait été exclue de ce cours à cause de son bavardage et de ses éternelles interruptions. Cette fois-ci elle fut de nouveau admise. N'ayant pas été soumise au même entraînement que les autres, elle ne pouvait évidemment pas briller. Mais, se trouver simplement dans le rang, faire comme les autres, sans se faire remarquer, lui était insupportable. Pendant la récréation elle s'approcha de l'inspectrice qui conversait avec l'institutrice et fit une pirouette, car la gymnastique est son fort. Elle aime faire des farces. Ainsi elle me raconta qu'un jour elle a laissé s'échapper l'oiseau d'une cage que le propriétaire avait placée dans la cour. Elle se réjouit de voir que le propriétaire ne trouvait pas l'auteur de cette farce. Elle prétend avoir eu pitié de cet oiseau qui piaillait. Au cours des vacances, s'amusant dans la rue, elle tira complètement le rideau de fer d'une boucherie située en face de chez elle. Lorsque la bouchère sortit et corrigea M., sa mère sortit à son tour de son magasin et administra un soufflet à la bouchère, ce qui lui valut un procès et une amende de 10 francs. La mère me pria d'être très sévère avec la petite qui, à la maison, l'exténuait. Elle est têtue et lorsque sa mère lui commande quelque chose elle répond : « Je ne veux pas y aller! » et ne cède généralement qu'à la force. Si cette femme avait disposé des moyens nécessaires, elle aurait confié l'enfant à des étrangers qui lui auraient donné une éducation correcte, car les parents, avec leur commerce, ne peuvent pas suffisamment s'en occuper. Quant aux frères et sœurs, elle les repousse, bien qu'ils l'aiment beaucoup et soient très doux avec elle. A l'école, elle se conduit d'une façon identique. Il ne se passe pas de jour sans qu'on la voie battre une camarade ou la jeter à terre sans motif. A deux reprises déjà, deux fillettes ont été sérieusement blessées, poussées contre le mur ou contre l'extrémité d'un banc. Sur le chemin de l'école, elle tire les cheveux de ses camarades ou, quand elles sont arrivées, les menace de les corriger à la sortie. A cause de tout cela on la craint et on ne l'aime pas dans sa classe. Si, pendant les cours, une voisine lui demande de se tenir tranquille, elle lui donne des coups de poing, la pince ou la frappe avec ses pieds, sous le banc. Les convocations des parents n'ont donné aucun résultat jusqu'à présent. C'est toujours la mère qui est venue et elle a rejeté la faute sur le père qui gâte trop cette enfant. Je n'ai jamais pu m'entretenir personnellement avec le père, mais la mère a promis de nous l'amener aujourd'hui. » Dr A : Dans la description détaillée de cette enfant, le point central de son développement est souligné avec beaucoup de précision. Cette enfant présente une tendance particulièrement marquée à la valorisation mal dirigée. Nous entendons dire qu'il s'agit d'une benjamine et qu'elle a été gâtée; ceci paraît expliquer que sa tendance à la valorisation soit si grande. En tant que benjamine elle voudrait dépasser tous les autres. Mais à côté de son bon rendement, on constate une telle quantité de défauts qu'on en est étonné. Nous comprenons pourquoi la conduite de l'enfant va en s'aggravant. L'enfant se conduit comme dans une souricière, elle ne peut échapper à son sort, elle voudrait être le point de mire mais elle a déjà si mal agi qu'elle se heurte partout à une résistance et partout elle est incitée à continuer. Je voudrais rapidement répéter ce qui m'a frappé, dans cette excellente description, relativement à la ligne dynamique de l'enfant. Elle montre la tendance à vouloir être plus que les autres à l'école. Elle n'a qu'un succès partiel et elle essaye de compléter la partie manquante par ses interruptions de l'enseignement, par ses attaques, par les difficultés qu'elle présente vis-à-vis de sa mère. Nous pouvons émettre l'idée que si elle était la première de sa classe, sa conduite changerait complètement. Ce n'est pas elle-même qui changerait, mais sa situation serait meilleure, sa tendance à la valorisation ne supporte pas la vie à la maison; à l'école, vis-à-vis de ses camarades, elle se trouve en lutte. Dans cette lutte elle voudrait être victorieuse. Il est impossible de détourner cette enfant de sa voie par des coups ou par des punitions. Car peut-être dans ce cas, n'osant plus agir au grand jour et nuire ouvertement aux autres, elle le ferait d'une façon cachée. Ce serait aussi inciter l'enfant à mentir. Je crois que le vrai motif pour lequel elle a laissé échapper l'oiseau n'est pas, comme elle le disait, la pitié, mais plutôt une certaine joie procurée par l'attaque du bien d'autrui. C'est pour la même raison qu'elle regarde les cahiers de ses camarades. Dans cette joie maligne que lui procurent les erreurs des autres, elle trouve sa supériorité et croit être plus et mieux que les autres. Si elle réussissait toujours à triompher cela ne préjugerait en rien de sa vie à venir. Elle ne trouvera certainement personne pour lui offrir constamment cette possibilité. Il faut intervenir pour saisir le mal à sa racine. Il faut rendre compréhensible à l'enfant l'erreur où elle vit. Il faut lui montrer qu'elle présente une tendance à se trouver toujours en tête et, n'y réussissant pas du côté utile, elle essaye alors de se faire valoir du côté nuisible (en molestant ou en tyrannisant les autres). Mais cette explication qu'il faut lui donner ne doit pas revêtir la forme d'un reproche, car là elle recommencerait à lutter. Une enfant de cette sorte présente, à la suite de pareille affirmation, un état d'esprit qui l'amènerait à penser : « Désormais je le ferai davantage. » Les enfants veulent démontrer qu'ils sont quand même les plus forts. Je ne crois pas qu'on puisse éliminer ses défauts par une conversation. Un sujet étranger, ne dépendant absolument pas du cercle de ses relations, devrait un jour lui donner amicalement quelques indications et lui montrer ce qui se passe en elle. Elle sait que sa mère la défend et ne prend donc pas au sérieux ses menaces. Étant intelligente, elle connaît les limites qu'un instituteur ne peut pas dépasser et elle sait qu'on ne poussera pas les choses jusqu'au bout. Nous entendons dire que ses parents, comme ses frères et sœurs, l'aiment, et malgré tout elle les torture, elle est peu aimable avec eux. Elle essaye de subjuguer les autres, mais cela ne réussit pas entièrement chez ses frères et sœurs, d'où son besoin de les attaquer. Partout nous retrouvons le même rythme et la même structure. Les menaces de la mère sont complètement inutiles et en la rudoyant on n'arrivera à aucun résultat chez cette enfant. Elle sait que le père, en toute circonstance, sera de son côté. Il est probable d'ailleurs qu'il ne porte pas toute la responsabilité dans l'éducation erronée de l'enfant, car les membres de la famille se rejettent cette responsabilité l'un sur l'autre. Il est nécessaire qu'on donne des indications aux parents, qu'on leur fasse comprendre que, dans le fond, cette enfant n'est pas responsable puisque, jusqu'alors, elle n'avait eu qu'à suivre un style de vie établi dès sa première enfance. On ne saurait s'attendre à un changement tant qu'elle maintiendra son but erroné, à savoir être toujours la première et se trouver toujours au centre de l'attention. Le moyen le meilleur pour éclairer l'enfant en même temps que la mère, serait de faire comprendre à cette dernière qu'on constate très souvent chez les benjamins cette tendance à vouloir toujours se trouver au premier plan. Dr A (s'adressant aux parents) : Il ne faut pas lutter avec un enfant car souvent on perd; les enfants sont toujours les plus forts. Il faut lui parler d'une façon aimable et lui dire que si elle recommence à vouloir dominer les autres, ce qu'on trouve souvent chez les benjamins, cela ne présente rien de particulier. Il faudrait faire comprendre à l'enfant d'où vient chez elle ce besoin qu'elle ne comprend pas elle-même, de se trouver toujours au centre de l'attention. Conseil à l'institutrice: Considérer les rechutes éventuelles avec un sourire compréhensif et attirer l'attention de l'enfant en lui disant : « Je crois que tu voudrais de nouveau te trouver au centre de l'attention. » Dr A (s'adressant à l'enfant qui pleure sans cesse) : Voudrais-tu être la meilleure élève et réussir déjà beaucoup de choses? Tu es une enfant intelligente. Il faut seulement que tu perdes l'habitude de forcer les autres à s'occuper constamment de toi. Tu es la benjamine et tu veux toujours montrer que tu es la maîtresse. On voit souvent cela chez les benjamins, tu n'en es pas responsable, nous le reconnaissons. Regarde, tu écris bien, tu es forte en gymnastique, dois-tu constamment ennuyer les autres petites filles? Tu as un bon père et une bonne mère; tu pourrais être contente; as-tu vraiment toujours besoin de te pousser au premier rang? Je t'assure que tes larmes sont tout à fait superflues, tu n'es pas ici pour être punie, mais pour qu'on t'explique où se trouve ton erreur. Tu veux toujours démontrer que tu es la maîtresse à la maison, cela n'est pas nécessaire. Tu en sais autant que les autres. Il faudrait aussi regarder les gens dans les yeux et leur démontrer que tu as une bonne conscience. Dis-toi : je ne veux pas dominer, je ne veux pas être désagréable, je ne veux pas donner de travail supplémentaire à ma mère pour qu'elle soit toujours obligée de s'occuper de moi. Essaie de lui faire plaisir, tu y parviendras et tu te diras : je suis peut-être la benjamine, mais tout le monde m'aime. Qu'en penses-tu, crois-tu que tu y arriveras ou veux-tu continuer à te conduire comme quelqu'un qui dit toujours : « me voilà! » Reviens dans un mois.
Chapitre X |